Quel avenir pour le Liban ?

Un Collectif Libanais en France (CLF) répond à nos questions sur l’avenir du Liban meurtri après l’explosion du 4 août 2020 qui a dévasté le port de Beyrouth et une partie de la capitale libanaise.

L'explosion au Port de Beyrouth le 4 août dernier a déclenché une nouvelle crise majeure au Liban. Foto: Freimut Bahlo / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(KL) – Le 4 août dernier une terrible explosion a poussé le Liban dans une nouvelle crise. Déjà éprouvé par la crise économique et la crise sanitaire, le Liban se trouve malmené par différents groupes d’intérêts. Pourra-t-il s’en sortir ? Un collectif de Libanais vivant en France a répondu à nos questions.

Comment voyez-vous l’avenir du Liban après l’échec de Mustapha Adib à former un gouvernement selon la feuille de route du Président Macron ?

CLF: Nous regrettons l’échec du Premier ministre nommé à former un gouvernement selon les critères de la feuille de route acceptés par tous les chefs de partis concernés. Le Président Macron n’a pas ménagé ses efforts pour aider le Liban. Dans sa conférence de presse du 27 septembre, il a désavoué ceux qui n’ont pas respecté leurs engagements, mais a maintenu le principe de la feuille de route espérant toujours qu’une solution puisse être trouvée.

Nous sommes intimement convaincus que le Liban est dans l’incapacité de s’en sortir seul pour maîtriser les différentes crises qui le frappent de plein fouet : Crise politique, économique, financière, monétaire ; crise de confiance (nationale et internationale)… Elles ont été causées par l’incompétence des dirigeants successifs depuis l’indépendance en 1943 et se sont progressivement aggravées. De différents événements y ont également beaucoup contribué : L’accueil de réfugiés palestiniens en 1948, et syriens en 2011, les crises de 1952 et de 1958, la tentative du coup d’état en 1961, l’accord du Caire en 1969, la guerre civile (1975-1990), l’occupation syrienne et l’occupation israélienne, l’accord de Taëf de 1989,… La mésentente permanente des différentes équipes qui se succèdent au pouvoir a ébranlé le pays et bafoué les pactes de 1926 et de 1943. Ces pactes méritent d’ailleurs d’être revus.

Un système politique basé sur le communautarisme, le clientélisme, la corruption, la fraude, et tant d’abus en tout genre a engendré des crises politiques successives, l’effondrement de l’économie, la chute vertigineuse de la livre libanaise, la flambée du chômage et des prix. Le mécontentement général et la quasi asphyxie de la population sont indéniables.

L’Etat est en faillite financièrement et moralement et se trouve incapable de maintenir son indépendance face aux différentes ingérences de pays voisins ; incapable de maîtriser les factions armées qui ont crée des petits états dans l’état, incapable de gouverner et d’entreprendre des réformes indispensables pour restaurer son autorité et la confiance nationale et internationale. Les désaccords sont permanents entre les différentes composantes qui dirigent le pays. Les intérêts personnels de nombreuses personnalités corrompues priment sur l’intérêt général de la population.

La crise du Coronavirus (Covid-19) et la terrible explosion du 4 août 2020  dans le port de Beyrouth ainsi que l’incendie qui l’a suivi quelques semaines plus tard, ont fait des ravages catastrophiques et incalculables dont la population est la principale victime. Elle commence à manquer de tout et, dans certaines régions, à affronter la famine.

Pensez-vous que le Liban est aujourd’hui particulièrement menacé d’implosion ou d’une nouvelle guerre civile ? Dans les deux cas les conséquences seraient désastreuses. Quelles solutions pourraient être envisagées ?

CLF : Pour nous, trois scenarii sont à considérer très sérieusement: Le colmatage et le raccommodage avec les arrangements habituels et les promesses du pouvoir auxquelles personne ne peut et ne veut plus croire ; L’occupation par des « pays amis ». Des « vautours » rodent et n’attendent que de se jeter sur le cadavre pour rassasier leur appétence ou bien Une mission internationale qui serait pour nous la solution la plus adéquate. Elle pourrait représenter une réelle possibilité qui permettrait au Liban de s’en sortir, de sauvegarder son indépendance, son intégrité et de sauver son peuple. Il est clair que c’est la solution la plus difficile à mettre en œuvre car elle exige de difficiles négociations, d’engagement et de courage. Sa mise en place ne pourrait se réaliser que par la voie légale, c’est-à-dire par le biais de l’ONU. Sa réussite ne saurait être assurée que par une action radicale, volontaire et immédiate. Il y a déjà eu un précédent similaire dans l’histoire du Liban. Suite aux massacres perpétrés en 1860 au Mont-Liban et en Syrie, une mission internationale présidée par la France a été mise en place… »

Comment voyez-vous sa réalisation ?

CLF : Voici quelques idées pêle-mêle : entamer des pourparlers entre le Liban, la France, les Etats-Unis et la Russie (sans ces deux Puissances aucune solution n’est possible au Moyen-Orient), pour qu’une réunion urgente du Conseil de Sécurité des Nations Unis ait lieu.  A l’issue de laquelle une mission de 5 ans, renouvelables, devrait être attribuée à un comité exécutif international présidé par la France.

Il faudrait ensuite nommer une commission de 12 experts/techniciens (6 internationaux, représentants des pays siégeant au Conseil de Sécurité de l’ONU, et 6 Libanais, apolitiques et non corrompus). Cette commission aurait les pleins pouvoirs avec l’objectif de « réinventer » un Liban indépendant, libre, laïc, démocratique, neutre, multiethnique, multiconfessionnel et multiculturel. Elle aurait, tout d’abord, à lutter contre la corruption, la fraude, le clientélisme, la drogue, les injustices sociales…à tel que niveau que ce soit ; à sortir le pays de l’impasse ; à restaurer l’autorité de l’Etat et la confiance sur le plan national et international.

Renforcer le rôle de la femme. Elles sont nombreuses au Liban, intelligentes, instruites, cultivées, intuitives, courageuses, modérées et modératrices. Elles peuvent jouer un rôle de premier plan si on leur offre la possibilité et on leur donne les moyens. Faire participer les jeunes de 30/40 ans qui sauront être dynamiques et particulièrement motivés.

Il serait important d’instaurer un état d’urgence et un couvre-feu, le temps nécessaire pour éviter tout débordement. La sécurité doit être assurée par l’armée régulière sous l’autorité de son commandant en chef, épaulée par une force multinationale conjointe (France-Etats-Unis-Russie). Il est primordial de désarmer au préalable toutes les milices, les factions, les partis politiques et intégrer leur armement dans l’armée régulière légale.

En attendant de pouvoir travailler sur une nouvelle Constitution, il faudrait légiférer par décrets. La nouvelle Constitution remplacerait les pactes de 1926 et de 1943. Celle-ci pourrait être inspirée de la constitution de la 5ème République française et adaptée aux données locales.

Il conviendrait également de résilier définitivement les accords du Caire et de Taëf ainsi que tout autre accord ou traité désavantageux pour le Liban et signé sous pression par des pays tiers. Il conviendrait aussi de dissoudre tous les partis politiques et toutes les associations sauf les ONG connues et reconnues. Des autorisations ultérieures seraient accordées sur de nouvelles bases et inscrites dans la Constitution.

Il faudrait abolir le confessionnalisme, le communautarisme et les accords relatifs au partage du pouvoir. Le Liban doit devenir un état laïc et la religion serait considérée en tant que conviction personnelle. Il serait indispensable de créer une charte identitaire du Libanais, d’émettre de nouvelles cartes d’identité et de nouveaux passeports sans indication de la confession. Examiner la possibilité à ceux qui souhaitent modifier leur prénom, voire leur nom, le rendant plus « international ».

Et la question des nombreux réfugiés au Liban ?

CLF : En effet, c’est un problème majeur. Les réfugiés palestiniens, syriens et autres minorités représentent plus d’un tiers de la population libanaise, estimée à environ 6 millions d’habitants. Il faut traiter en urgence cette question humanitaire qui constitue un lourd fardeau pour un pays qui affronte des crises multiples.

Et les problèmes qui touchent les hommes politiques pointés du doigt, et les conflits d’intérêts ?

CLF : Pour éviter que les problèmes rencontrés aujourd’hui ne se reproduisent pas demain, il faut interdire tout mandat politique et haute fonction administrative à toute personne née avant le 1er janvier 1970 ;  mettre en place un comité d’éthique, de transparence et  anti-corruption ; prévoir la création d’une Caisse de dépôt et de consignation gérée par l’état garantissant les dépôts bancaires et les retraits ainsi que le contrôle des dons nationaux et internationaux et des marchés publics ; nationaliser provisoirement toutes les banques et lancer un audit de transparence ; l’argent provenant du blanchiment, de la corruption, de la fraude et de toute source illégale doit être confisqué et versé au budget de l’état. Il convient d’interdire aux hommes politiques d’être actionnaires dans les banques et dans les sociétés vitales. Il faudrait adopter une politique « zéro tolérance » pour les fraudeurs. Confisquer les passeports et interdire de quitter le Liban à toute personne suspecte de corruption, de blanchiment d’argent ou de fraude. Créer une cour pénale spéciale pour les juger, et le cas échéant les châtier.

Quelles mesures urgentes devraient être prises sur les plans économiques et financiers ?

CLF : Il faudrait centraliser d’une manière contrôlée et transparente les aides financières espérées ainsi que les dons et toute rentrée d’argent dans les caisses de l’état. Réorganiser la Banque Centrale et trouver des solutions pour que la livre libanaise retrouve une valeur acceptable et stable. Il conviendrait d’interdire les marchés parallèles de change et le « marché noir » ; de nationaliser les sociétés vitales (Électricité, gaz, eau, ports, aéroports, etc.).

Pour travailler efficacement et sans délai, il faudrait lister les priorités et les réformes indispensables pour rétablir la confiance (Système bancaire et financier, justice, police, douanes éducation, santé, formation, apprentissage, familles, immigration …), et pour redonner confiance à la population meurtrie depuis des décennies, et un espoir à la jeunesse largement majoritaire dans le pays, assoiffée de justice, d’action, de nouveaux horizons et d’avenir.

Pour réussir l’action il faut agir immédiatement en créant un comité  pour la reconstruction du port et des quartiers dévastés de Beyrouth sous la surveillance vigilante et l’autorité de la commission internationale ; faire appel à la Diaspora libanaise dans le monde (14 millions de Libanais éparpillés) pour faire des dons, des investissements et un retour au pays, en mettant les Ambassadeurs à contribution. Pour mieux sensibiliser les Libanais vivant à l’étranger, il serait important de leur accorder le droit de vote comme cela se pratique dans les pays occidentaux, ce qui leur permettrait d’être davantage concernés par leur pays d’origine.

Enfin, il faudrait établir de nouvelles relations diplomatiques avec les pays voisins y compris avec Israël (le problème palestinien devra être traité séparément sur le plan international). Faire du Liban un pays neutre, indépendant, souverain dont la sécurité et l’intégrité de ses frontières seraient assurées par des traités de défense avec les trois pays cités et sous l’autorité de l’armée libanaise.

Tout un programme !

CLF : Oui, il s’agit d’un vaste programme. Il faut considérer la situation actuelle comme une opportunité pour mettre un terme à des décennies de dysfonctionnement et reconstruire un nouveau Liban à la hauteur des espérances de son peuple. Nous sommes convaincus que cela serait possible.

Je vous remercie pour ces propos et souhaite que votre Liban retrouve le calme, la sérénité et la prospérité, et qu’il redevienne « La Suisse de l’Orient » comme il fut surnommé jadis.

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