Quelques leçons de la… « Coronavirus-économie »

Alain Howiller se pose la question de l'économie « d'après-crise » - est-ce que le capitalisme tel qu'on le vit sera encore le système de choix demain ?

« Défaire le capitalisme, refaire la démocratie » (Eric Dacheux / Daniel Goujon). Foto: Tony Webster from Portland, Oregon, USA / Wikimedia Commons / CC-BY 2.0

(Par Alain Howiller) – Bon, on y a sans doute mis du temps, mais ça y est : un nouveau néologisme est né et ce, au moment où on aurait – déjà – aimé l’oublier avec ces mesures de « déconfinement » qui s’amorcent ou se concrétisent, non sans risques, à travers le monde. « Coronavirus-économie » figurera bientôt dans nos dictionnaires et ce ne sera que justice si on pense à l’impact que cette nouvelle économie aura sur notre quotidien ! Elle aura d’abord rappelé au monde que la financiarisation ne peut être la mesure de toute chose, et que la santé a un prix. Les économistes glisseront peut être – et les entreprises avec eux – entre le « capitalisme » et le « néo-libéralisme » une nouvelle notion : celle du « délibéralisme », utopie radicale qu’Eric Dacheux et Daniel Goujon nous proposent dans un ouvrage au titre révélateur : « Défaire le capitalisme, refaire la démocratie »(1). Ils proposent une démocratie écologique et solidaire grâce à la délibération et à la participation aux négociations qui, en France, se sont imposées – dans les entreprises, les collectivités, les écoles – pour la mise en place des mesures de déconfinement, et qui ont déjà concrétisé un besoin de dialogue et de négociation qui s’est inscrit de longue date dans la tradition allemande.

Paradoxe et priorités. – Ce n’est pas le moindre des paradoxes que d’avoir pu constater que l’allégement de l’encadrement lié à la sortie du « Covid-19 » a, finalement, obligé l’Etat ultra-centralisateur à solliciter le concours des collectivités locales pour « déconfiner », alors que face à la cacophonie des mesures anti-crise prises par les Länder, un certain nombre d’observateurs se sont interrogés sur la pertinence des pouvoirs d’opposition des ministre-présidents de région (Bavière et Rhénanie du Nord-Westphalie notamment) et du gouvernement fédéral ! Vérité en deçà du Rhin, erreur au delà ? Relancera-t-on pour autant les débats entre centralisme et fédéralisme ? En Allemagne, le débat avait déjà été esquissé, sans lendemain, à propos des mesures de lutte contre le… terrorisme !

Briser les freins psychologiques. – Il est vrai que l’attention sera aussi sollicitée, au delà des aspects médicaux et sanitaires (coût des hôpitaux, des charges de personnel, investissements dans la recherche, mise au point de traitements, de vaccins…), par des débats très pragmatiques : place du « télé-travail », aménagement des postes de travail (quelle place pour l’open-space ?), accélération du recours à l’automatisation notamment dans la distribution (caisses, drives) et les réseaux bancaires (avenir du chèque, du paiement par PayPal), aménagement du temps de travail, poursuite des réflexions sur la place des loisirs et du respect de la sphère privée ! D’après Philippe Goetzmann, ancien dirigeant de la grande distribution et consultant, le développement des ventes en « drive » en France a contribué à briser les freins psychologiques face à la technologie et, en plus, il a laissé les coordonnées de centaines de milliers de clients ! En quoi la « société d’Après » ressemblera-t-elle à celle « d’Avant » la crise ? Et quel avenir le citoyen réservera-t-il à cette « souveraineté nationale » et à ses variantes, « la souveraineté économique » ou la « souveraineté… alimentaire » ?

A court terme se posera le problème des réponses à donner à la « déconfiture » de nombreuses entreprises, à la peur du chômage que redoutent par exemple un Allemand sur cinq… Les derniers chiffres du chômage ne laissent d’alimenter cette peur tant en France qu’en République Fédérale. S’y ajoutent dans les deux pays les craintes d’avoir à subir une érosion importante du pouvoir d’achat. En France, 56% des sondés s’attendent à une baisse de leur pouvoir d’achat. « On ne va bientôt plus parler de pouvoir d’achat, mais de capacité d’achat », commente à ce propos Gaelle Le Floch, directrice stratégique chez Kantar, leader mondial des études marketing. La relance de l’économie risque d’être freinée par un effet de ciseau entre l’épargne de précaution qui entend préserver les risques portés par l’avenir et le poids des stocks constitués avec la crainte irraisonnée du manque.

Quand l’unanimité émerge sur les deux rives du Rhin – « Mais », comme le disait ici même Martine Merigeau, directrice du Centre Européen de la consommation (CEC), « la sortie de la crise reste un chemin commun à concevoir ensemble car la consommation devient l’enjeu économique de l’année 2020 ! »(2). Un enjeu qui marque des convergences et des divergences entre ces deux partenaires essentiels que restent l’Allemagne et la France. On peut essayer d’approcher les caractéristiques de cette consommation en s’appuyant sur les études des instituts spécialisés. Un premier constat s’impose : alors que les Français ont redécouvert les commerces de proximité du centre-ville au détriment des centres commerciaux de périphérie, les consommateurs allemands, qui pensent à 67% que beaucoup de magasins du centre ne survivront pas à la crise, s’apprêtent à connaître les joies des achats en centres commerciaux.

L’unanimité se dessine sur les deux rives du Rhin où s’imposent les achats de fruits et légumes frais et bios au détriment des plats cuisinés où on redécouvre la viande et le poisson ! Le confinement français et le « néo-confinement allemand » ont fait grimper, on l’a assez souligné, les ventes de produits qu’on peut stocker, mais les restrictions de circulation ont pesé sur les achats de… déodorants pour hommes, de brosses à dents, de vêtements. Dans ce dernier secteur on a vu, néanmoins, s’envoler les achats de vêtements décontractés : l’émergence de ce que certains ont déjà appelé le « look télé-travail » ! La vente de shorts, par exemple, a progressé de… 244% en Allemagne grâce notamment aux achats en ligne ! En France, les ventes de… trottinettes, de rollers, de patins à roulettes, de webcams se sont également envolées. Ces habitudes vont-elles se perpétuer après les restrictions nées de la lutte contre la crise sanitaire ? 84% des Allemands affirment qu’ils veulent retrouver leurs habitudes d’avant le « Covid-19 » : voire !… La levée des mesures en Allemagne n’a pas provoqué une ruée sur les magasins, contrairement à ce qu’on redoutait. Qu’en sera-t-il en France ?

Acheter « local » : une priorité ? – Les études entreprises sur les approches des consommateurs révèlent quelques évolutions. Le « shopping » séduit moins car « il y a d’autres priorités ». Le consommateur marque désormais une grande sensibilité à l’aménagement des surfaces de vente : multiplication des cabines d’essayage, marquage des sens de circulation, aménagement de barrières (les fameuses parois en « plexiglas », déconsidération pour les règlements en liquide. Plus que jamais, les prix et les promotions restent des éléments d’attractivité. La « distanciation physique » (terme plus approprié que celui -équivoque – de « distanciation sociale », ce que certains appellent le « look télétravail ! ») laissera des traces : les consommateurs essaieront de plus en plus d’éviter « l’effet foule » dans les magasins. Les consommateurs marquent désormais une grande sensibilité à l’origine des produits : 75% des Français et 66% des Allemands veulent privilégier la production « locale » et favoriser, autant que faire se peut, les achats directs auprès des producteurs.

On le voit, la « Coronavirus-économie » a suscité d’importantes évolutions qui ont non seulement marqué notre environnement médico-sanitaire ou politique, mais aussi nos approches sociétales. Elles ont également – on ne le souligne pas assez – restauré des valeurs qu’on pensait oubliées : la solidarité, l’empathie, la compassion. Dans le passé, les crises marquaient une parenthèse : on tournait la page pour revenir aux comportements d’avant ! Une majorité de gens pensent que cette fois, il en ira autrement. Et ceux qui nous dirigent affirment qu’ils sauront tirer les leçons de la douloureuse expérience du « Covid-19 ». Alors : deal or not deal ?

(1) « Défaire le capitalisme, refaire la démocratie », par Eric Dacheux et Daniel Goujon, Erès éditeur, 360 pages, 29,50 €

(2) Eurojournalist.eu du 30.04.2020.

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