Qu’est-ce qu’une « guerre juste » ?

Au Kosovo, inculpation du président pour crimes de guerre

Wanted ; Hashim Thaçi, 1997 Foto: SMIA/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – Une fois n’est pas coutume, un président de la République est inculpé pour crimes de guerre. Hashim Thaçi, le président du Kosovo, se défend en affirmant que les actions menées dans les années 1990 par son groupe, l’UÇK, était « une guerre juste ». Qu’est-ce à dire ?Beaucoup de choses, en l’occurrence.

L’écheveau est embrouillé, comme souvent dans cette région de l’Europe. Hashim Thaçi doit occuper son poste jusqu’à 2021. Il annonce ne vouloir démissionner que si l’acte d’accusation était confirmé. L’acte d’accusation, ce sont les Chambres spéciales de La Haye qui l’ont publié le 24 juin dernier contre Thaçi, qui dirige le parti PDK (centre droit). Hashim Thaçi et Kadri Veseli, un ex-chef des barbouzes de l’UÇK, le mouvement de guérilla des années 1990, seraient directement responsables de la mort d’une bonne centaine de personnes, dont on connaît les identités et les noms. Des Serbes, bien entendu, des Roms, mais aussi des Albanais kosovars et des opposants politiques. Hashim Thaçi et Kadri Veseli se sont illustrés, de plus, dit le communiqué des CSK, par leurs efforts incessants pour empêcher leur travail : les deux hommes ont en effet tenté de diffamer les magistrats des CSK, pendant plusieurs semaines au moins, et d’entraver tout effort de transparence au Kosovo.

A quoi il faut ajouter que selon un rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Thaçi dirigeait un groupe criminel issu de sa région natale, la Drenica, coupable outre de meurtres, d’enlèvements, de persécutions, de tortures, et… de trafics d’organes prélevés sur des prisonniers serbes entre 1998 et 2000. Thaçi était étroitement lié à d’autres grands criminels issus de la Drenica, une région de collines rases au cœur du Kosovo : entre autres Sami Lushtaku et Sylejman Selimi, condamnés en 2015. A propos de ce qui se passait en 1998, on parle d’ “archipel ” de centres d’interrogatoires et de détention, dont les victimes étaient surtout les rivaux kosovars du LDK d’Ibrahim Rugova : les centres de Likoc, Cahan, Kukës, et d’autres…

Voilà celui qui prétend avoir mené une « guerre juste », le chef actuel de l’État minuscule et peu viable fondé par les Occidentaux au début du 21ème siècle.

Mais la situation est bien plus complexe encore, notamment à cause de l’immixtion des Etats-Unis. Voici quelques semaines, Albin Kurti, le Premier ministre fraîchement élu a été destitué après cinquante jours. Le gouvernement était en somme un gouvernement de coalition du parti LDK,concurrent du PDK de Thaçi – et dont, on l’a dit plus haut, des dizaines de sympathisants ont été torturés et massacrés, entre 1998 et 2001, par Thaçi et ses petits camarades de l’UÇK – et de Vetëvendosje (Autodétermination), une formation qu’on peut qualifier de centre gauche nationaliste. Raison invoquée : le refus d’entériner un état d’urgence qui prenait pour prétexte la pandémie du COVID-19, mais qui eût donné au président des pouvoirs nettement élargis.

Puortant, la raison profonde bien qu’immédiate est autre. Ce sont les Etats-Unis qui ont fait pression sur Kurti et son gouvernement parce que ces derniers ont refusé, tout récemment, de reprendre le déjà vieux projet d’échange de territoires avec la Serbie quise fondait sur le principe : les Serbes en Serbie, les Kosovars albanais au Kosovo. Situation d’ailleurs paradoxale : lequel est le plus nationaliste ? Celui qui accepterait le principe : un peuple, une terre, ou bien celui qui en tient pour le statu quo actuel, par peur d’être lésé ?

Quoi qu’il en soit, la raison pour laquelle Kurti a été poussé vers la sortie est celle ci, et non une autre. Et Kurti est persuadé que l’échange de territoires correspond à un projet très précis que les Etats-Unis finiront par imposer à son pays soumis à toutes sortes de pressions – provenant de la Turquie, de la Russie et de la Chine, toutes puissances de plus en plus présentes au Sud des Balkans.

Situation complexe, on l’a dit : d’une part, le Premier, Albin Kurti, est débarqué à cause de pressions plus ou moins discrètes des USA, parce qu’il refuse toute négociation territoriale avec la Serbie d’Aleksandar Vučić. D’autre part, et cela apparaît comme une contre-attaque (mais provenant de qui?), Thaçi, au moment précis où un vrai dialogue avec les Serbes semblaient s’ouvrir, est accusé par les CSK – et une rencontre prévue pour le 27 juin dernier entre Serbie et Kosovo à Washington est annulée…

Comment sortir de cette apparente impasse ? Edi Rama, le Premier ministre albanais, lui-même d’ailleurs personnage hautement controversé dans son pays même, effectue cette semaine une visite au Kosovo, pour essayer de dégager une solution après discussions avec les hommes et les partis au pouvoir. Certains parlent d’ « union nationale ». Mais d’union nationale pour faire quoi ? Pour faire passer de force cet échange de territoire voulu par le gouvernement Trump ? Sur le terrain, ne vaudrait-il pas mieux trouver enfin des modalités d’entente entre les populations, comme ils réussissent parfois dans les pratiques associatives de la société civile, et dont on voit maints exemples dans certaines bourgades ?

Reste en tout cas un objet de réflexion à la fois essentiel et peut-être insoluble : Thaçi se défend en parlant de « guerre juste ». Mais une guerre juste, cela existe-t-il ? C’est un problème qui est discuté depuis l’Antiquité… Mais en outre, était-ce le cas pendant la Guerre des années 1990 ? Certes, il fallait se défendre contre les nationalistes serbes, d’une brutalité inouïe et inédite en Europe depuis les années 1940 ; mais cela ne justifie pas le meurtre lui-même barbare de centaines de civils, ni le trafic de leurs organes, ni la torture ! Toujours la vieille question (Machiavel !) de la fin et des moyens…

Ni l’obstruction systématique et les manœuvres d’intimidation contre les magistrats internationaux, une pratique qui jusqu’à ces dernières semaines, commençait à se faire moins fréquente dans cette partie-ci des Balkans.

A voir : https://www.courrierdes balkans.fr/

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