Rares sont ceux qui y pensent : et pourtant…

… on vote dimanche, en France, pour les nouvelles régions ! Notre éditorialiste Alain Howiller rappelle les enjeux de ce scrutin plus qu'important.

En pleine période d'avent, les élections régionales détermineront l'orientation politique des nouvelles régions. Foto: Superbenjamin / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Par Alain Howiller) – Une phrase courte, brutale, aura été beaucoup utilisée pendant et en marge de la 21ème Conférence des Nations Unies sur le climat et les changements climatiques qui setient au Bourget, près de Paris. C’est la phrase de Jacques Chirac, fustigeant l’inaction des dirigeants du monde face aux problèmes d’environnement : «Notre maison brûle et nous regardons ailleurs !» (IVème sommet de la Terre à Johannesburg, Septembre 2002). Après l’impressionnante rencontre du Bourget, la phrase pourrait servir encore dans un autre contexte : la France a accueilli près de 150 chefs d’état du monde entier, elle peine à se sortir de l’après-attentats, continue de chanter la Marseillaise et de brandir le drapeau national, assiste aux patrouilles quotidiennes des forces de l’ordre et de ses soldats dans les rues. Et voilà qu’on lui demande de se pencher sur l’avenir de ses régions !

Car les Français votent ce Dimanche 6 Décembre (premier tour, 13 Décembre deuxième tour) pour désigner les candidats qui siègeront dans les assemblées des 13 régions succédant aux 22 régions qui jusqu’ici, structuraient la France métropolitaine.

La mise en place de la «réforme territoriale», voulue par le Président de la République et sa majorité, se met ainsi en place : sur le plan national, 171 listes (9 dans la région regroupée «Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne», avec 10 départements, une population de 5.548.955 habitants dont 3.909.540 électeurs !) ont été enregistrées pour ce premier tour, ce qui représente 21.456 candidats pour 1.757 postes de conseillers régionaux, auxquels s’ajouteront 153 «conseillers territoriaux» pour la Corse, la Guyane et la Martinique.

Les élections régionales en Alsace… – 1.701 candidats se présentent -répartis dans les dix départements- dans la nouvelle région de l’Est. L’Alsace, futur élément de la région regroupée, comptait 47 conseillers régionaux (29 pour le Bas-Rhin, 18 pour le Haut-Rhin) : elle en aura, issus des urnes après le 13 Décembre, 60 (35 bas-rhinois, 25 haut-rhinois). Le total du nombre de conseillers régionaux dans la future assemblée régionale -qui se réunira le 4 Janvier pour désigner son président- sera de 189. Le système de vote est assez complexe (ce qui ne facilitera sans doute pas la participation électorale) : chaque liste de candidats devra compter 189 noms découpés en dix sections «départementales».

Pour l’emporter dès le premier tour de scrutin (ce sera rare), une liste doit obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés (50%+1 voix). Si aucune liste (cas le plus probable) n’a la majorité absolue, il y aura un deuxième tour ouvert aux listes qui ont obtenu 10% des suffrages : celles-ci pourront intégrer des éléments venus des listes ayant obtenues plus de 5% des voix au premier tour. Pour l’emporter à ce deuxième tour, la majorité relative suffira.

Conçue officiellement pour créer en France («face aux länder allemands») des régions «compétitives», susceptibles de générer des économies d’échelle, par la fusion de services et des diminutions de personnel (on évoquait une économie en quelques années de 50 milliards d’euros), la «réforme territoriale» ramène, par fusion, le nombre de régions de 22 à 13. Si 6 régions (dont la Corse, l’Ile de France, Provence-Alpes-Côte d’Azur etc…) ne fusionnent pas, les autres doivent se rapprocher : le mouvement suscite parfois de vives oppositions. Celles-ci ont fait valoir -en vain- nombre d’arguments, réfutant en premier la comparaison avec les «Länder» allemands dont certains sont de taille modeste, qui ont dans un état fédéral bien plus de pouvoirs, dont les budgets -ressources en tête- sont de loin plus importants. Les opposants ont insisté sur le fait que les pouvoirs des régions (dont animation économique, aménagement du territoire, transports non urbains, tourisme…) sont mal définis, que les ressources sont faibles à un moment où les concours de l’Etat aux collectivités diminuent de manière considérable.

Le retour d’un parti autonomiste alsacien ! – Dans certaines régions, on a insisté sur les origines historiques de leur existence : cela a notamment été le cas en Alsace où une levée de boucliers s’est opérée, conduisant même à des recours en Conseil d’Etat contre la réforme : recours rejetés dont l’impact risque fort de peser sur l’issue des élections à travers l’émergence d’un «parti autonomiste» qui avait pratiquement disparu du paysage électoral alsacien !

Pour certains opposants, la réforme avait un parfum électoraliste : essayer de limiter une prévisible défaite de la gauche qui avait conquis l’ensemble des régions en 2010 : seule l’Alsace était restée à droite. Il s’agissait aussi, pensent certains, de peser sur les résultats des candidats de droite et d’extrême droite. Les sondages font apparaître que les promoteurs de cette approche risquent fort de jouer une nouvelle version de «l’arroseur arrosé» : en l’état, trois régions seulement risquent de rester à une gauche qui paierait ainsi la politique gouvernementale et devrait assumer le prix de ses divisions, le Front National avancerait vers la conquête de deux régions, le restant des régions tombant dans l’escarcelle de la Droite («Les Républicains»). Mais n’oublions pas qu’un sondage n’est pas l’élection, que les estimations concernent surtout le premier tour alors que les élections régionales se font à deux tours, un système qui permet toutes formes d’alliances susceptibles de peser sur le résultat final. N’oublions pas non plus que l’abstention qu’on prévoit importante (elle était d’un peu plus de 54% lors des élections précédentes, en 2010), pèsera, elle aussi, sur le résultat.

Un «fond de commerce électoral». – 64% des sondés avaient affirmé que leur choix serait orienté par des considérations régionales mais qu’en sera-t-il dimanche alors que la vague «bleu-blanc-rouge», née des attentats, risque de voler au secours du parti au gouvernement ou de jouer en faveur du parti d’extrême-droite dont le «national» constitue l’essentiel de son «fond de commerce électoral» ?

La résistance à la réforme alimentera-t-elle l’abstention quand on sait que 43% des Français affirment ne pas être satisfaits de la réforme et que l’Alsace connaît le taux le plus faible de France (14% !) de sondés satisfaits de la réforme ! Il est vrai que face à l’émergence d’une «méga-région de l’Est», on s’interroge sur l’avenir de la politique transfrontalière, sur celui du droit local alsacien (et mosellan) et du bilinguisme. On se demande quelle sera la politique économique que le nouvel ensemble mènera, notamment face au chômage. On se sent interpellé face au devenir des efforts menés en faveur de l’image de l’Alsace et de sa «marque».

On s’inquiète aussi du nom qu’on choisira pour la nouvelle région, du nom et de la personnalité du futur président : sera-t-il alsacien ?

Strasbourg menacée ? – Certes, on a été sensible, sur les bords du Rhin, au fait que, pour conforter les ambitions européennes de Strasbourg, le gouvernement ait décidé de faire de la métropole strasbourgeoise le siège de la nouvelle Préfecture de Région : la ville est devenue le «chef lieu» de la future région.

Cela étant, les élus du mois de Décembre devront veiller à ce que ce succès ne se transforme pas en «victoire à la Pyrrhus» ! Les textes ne disent-ils pas qu’une même agglomération (eurojournalist.eu du 29.04.2015) ne peut regrouper l’Hôtel de Région (la préfecture), le Conseil Economique Social et Environnemental (Ceser) et les réunions du conseil régional, sauf si ce cumul était approuvé par les 3/5èmes des élus du Conseil Régional ?

Une forte participation et de bonnes négociations rendront la chose possible. Qui peut croire que Strasbourg qui ambitionne d’être la «capitale de l’Europe» puisse ne pas se voir reconnu le rôle de «capitale régionale» ?… Et ce, malgré la concurrence de Metz privilégiée par les élus du «sillon lorrain» ((Nancy-Metz-Thionville-Epinal).

2 Kommentare zu Rares sont ceux qui y pensent : et pourtant…

  1. Bonjour,

    Il y a une erreur dans votre article : vous confondez le nombre de candidats avec le nombre d’élus. Il y a toujours plus de candidats que de postes, en cas de désistement. Relisez la loi du 15/01/2015, la dernière colonne du tableau de l’article 5 ne donne pas le nombre d’élus par département, mais le nombre de candidats par section départementale que doit présenter chaque liste.

    Or quand vous parlez de 60 conseillers alsaciens, vous additionnez le nombre de candidats, pas d’élus. Il n’y aura pas 189 conseillers, mais 169 (2e colonne).

    Cordialement,

  2. C’est exact…Erreur de calcul:il y aura en effet 169 élus dans la grande région de l’Est.Avec mes plates excuse.Faute avouée!…L’analyse,elle,reste….correcte!Merci au lecteur vigilant!A.H.

Hinterlasse einen Kommentar zu Howiller Antworten abbrechen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste