Récompense à (ceux qui ne sont) rien…

Voici venu le temps des médailles, du mémorial et peut-être aussi du défilé sur les Champ Élysées...

Des mémorials, il y en a, comme ici à Chennai en Inde - mais il faut revoir tout le système de la santé publique. Foto: Dey Sandip / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Jean-Marc Claus) – La rhétorique martiale du président Macron fait son chemin. Après l’Appel du 16 Mars, journée historique de l’An II du calendrier révolutionnaire d’une nouvelle ère où « Affronter la réalité du monde nous fera retrouver l’espérance » (sic), voici venu en l’An III, le temps de l’érection d’un mémorial et de la distribution de médailles. Ceci procédant d’une implacable logique, car toute guerre a ses monuments aux morts, ses médaillé(e)s, ses pensionné(e)s, ses invalides et ses veuves ou veufs. Justement, à ce propos, quid ici de ces trois dernières catégories ayant donné de leur personne ? Seront-elles, comme leurs homologues des derniers conflits mondiaux, remerciées par un engagement fort de l’État sous forme d’indemnisations pérennes ?

Les conflits qui ont endeuillé la planète au 20ème siècle laissent derrière eux des Ministères ou au moins des Secrétariats d’État, chargés d’abord des anciens combattants et ensuite des célébrations mémorielles. Si la pandémie de Covid-19 est effectivement une guerre, le gouvernement, quel qu’il soit, ne peut décemment récompenser les bons petits soldats que furent les soignants avec seulement des médailles, même en titane, et juste honorer la mémoire des victimes par un monument, si beau et symbolique soit-il.

La pandémie de Covid-19 n’est pas une guerre, mais la résultante d’une conjonction de divers facteurs, dont on ne peut honnêtement imputer la responsabilité exclusive à nos actuels gouvernants. En revanche, ces derniers sont comptables de leur réaction, ou absence de réaction, face à cette menace annoncée bien en amont de sa survenue sur le territoire hexagonal. Responsabilité dont la dissimulation derrière un conflit engagé avec un ennemi invisible, rend tout de même la ficelle un peu grosse…

« Gouverner, c’est prévoir, et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte. » affirmait le journaliste Émile de Girardin au 19ème siècle, citation également attribuée à Adolphe Tiers pour sa première partie. « Gouverner, c’est faire croire », prétendait Nicolas Machiavel à la Renaissance. Ainsi, pour tel qui gouverne sans prévoir, est-il particulièrement judicieux de faire croire, s’il veut éviter de courir à sa perte…

A l’heure où les autorités commencent à comptabiliser en toute discrétion le nombre de professionnels de santé contaminés et décédés, tout en menant une campagne de communication avec des mots tels que « mémorial », « médaille », « défilé », est-il grand temps de remettre les choses en perspective. Ainsi, le professeur Stéphane Dauger, chef du service réanimation pédiatrique à l’hôpital Robert Debré à Paris, a été très clair : « Je pense qu’on se moque de nous. Ce ne sont pas des médailles, des primes ou bons de vacances qui vont répondre à nos besoins. Nous nous battons pour l’hôpital public, pas pour des médailles ». C’est là une voix parmi d’autres, sans compter celles et ceux qui ne s’expriment pas publiquement.

La France n’est heureusement pas dans une situation comparable à celle du Brésil ou des USA. Mais il n’en demeure pas moins que camoufler les tenants et aboutissants d’une crise sanitaire par la glorification militaire des soignants, représente pour eux un camouflet de plus. Après les lacrymos et la matraque lors des manifestations réclamant des moyens pour l’hôpital public, le projet de défilé sur les Champs Élysées et les remises de médaille à venir n’ont-ils pas quelque chose de carrément surréaliste ?

Quant au mémorial en l’honneur des victimes de la pandémie, nos voisins Espagnols s’y sont attelés depuis quelque temps déjà, non sans succès et avec zéro financement public  . Tout ce qu’on peut y lire n’a rien à voir avec des formules convenues ciselées par des bataillons de communicants. Et c’est très bien comme ça, car ne serait-il pas particulièrement indécent, de faire mourir une seconde fois les victimes de cette pandémie, en les sacrifiant sur l’autel d’une quelconque propagande ?

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