Réforme territoriale – Alsace, la fusion, c’est dans six mois…

Une identité à préserver, sans barbelés, ni sacs de sable !

On n'aura pas besoin de ceci pour organiser les relations à l'intérieur de la nouvelle région ALCA... Foto: Thiemo Schuff / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – Inévitable, en l’état actuel des choses, la fusion entre les régions Alsace – Champagne/Ardenne – Lorraine avance. Officiellement, elle entrera en activité le 1er Janvier 2016 et Philippe Richert, l’ actuel Président de la Région Alsace, a profité de la récente réunion du Conseil Rhénan (eurojournalist.eu du 17 Juin), pour annoncer que l’hémicycle qui accueillait le conseil, allait être transféré et adapté pour recevoir, au mois de Janvier prochain, les 169 élus de la nouvelle «Méga-Région» provisoirement désignée par le sigle «ALCA». Une région qui comptera près de 5.600.000 habitants et une superficie, des limites de l’Ile de France au Rhin, équivalente à près de deux fois la Belgique ou le Bade-Wurtemberg ! Une «Méga-Région» dont, à vrai dire, ni l’Alsace, ni la Champagne/Ardenne ne voulaient et qui a été imposée par le Président de la République s’appuyant sur sa majorité à l’Assemblée Nationale !

Une réforme ramenant le nombre de régions de 22 à 13, s’inscrivant dans le cadre d’une réforme territoriale censée rendre les régions «plus compétitives» et susceptibles (ce dont personne d’ailleurs ne parle plus) de générer des économies grâce aux fusions !

Une réforme «abracadabrantesque» ! – Une réforme que d’aucuns, reprenant ce propos de Jacques Chirac, ont qualifié «d’abracadabrantesque», que Nicolas Sarkozy a promis de remettre en question, si jamais il revenait au pouvoir ! Ce serait en 2017, pas loin de deux ans après la mise en place des nouvelles structures : un délai qui fait douter même les partisans de l’ancien Président de la République, de la possibilité de procéder à autre chose qu’à des aménagements de la réforme sans la remettre en cause dans sa totalité ! Au nom du réalisme (eurojournalist.eu du 29 Avril), l’actuel Président de la Région Alsace, qui sera candidat au poste de Président de «l’ALCA», après les élections régionales des 6 et 13 Décembre 2015, n’est pas loin de partager ce point de vue : «Nous devons choisir entre la responsabilité et l’idéal… Nous n’avons pas le choix, nous ne pouvons pas écrire l’histoire tout seuls… Quand on est Alsacien, on ne peut que choisir la responsabilité… Il y a un temps pour tout : un temps pour la bataille passée, un temps dans le respect des lois de la République pour être présent dans la bataille à venir…», a-t-il souligné en estimant que la nouvelle région ayant fait l’objet d’une loi, il fallait respecter le texte, quitte à l’aménager et, en tous les cas, à essayer d’en tirer le meilleur parti pour l’Alsace.

Ce faisant il s’efforçait de répondre à la fois à ceux qui lui reprochent d’être candidat à la présidence d’une «Méga-Région ALCA» dont il ne voulait pas et à ceux qui allant jusqu’à l’affubler du surnom de «Judas des temps modernes»(!) et qui attaquent la manière dont, avec les représentants des deux autres partenaires, il s’efforce de mettre sur pieds pour ce qui est des services relevant des collectivités territoriales, la structure de la future région. Parallèlement, Stéphane Bouillon, Préfet du Bas-Rhin et de la Région Alsace, nommé «Préfet-Préfigurateur» pour les services publics de la future région, prépare, depuis Strasbourg promue chef-lieu d’ALCA, la restructuration et l’éventuel redéploiement des services de l’état.

«Fondamentalistes» et «réalistes» : le vrai débat ! – Cela étant, les opposants à la réforme, ceux que – reprenant une vieille distinction héritée des «Verts» allemands- j’appelais, ici-même, les «fondamentalistes», n’ont pas désarmé ! Il y a d’abord ceux qui, opposés à la fusion, autonomistes fédéralistes qu’on fait parfois -à tort- passer pour des indépendantistes(!), qui comptent participer aux prochaines élections régionales et obtenir plus que des résultats d’estime : pour cela ils continuent de manifester dans les rues et sur les places publiques. Les sondages qui commencent à circuler et qui donnent gagnante la liste conduite par Philippe Richert, ne les impressionnent pas. Il y a ceux, pas forcément les mêmes, qui, malgré l’avis favorable du Conseil Constitutionnel sur la loi de réforme territoriale, espèrent toujours une condamnation (peu probable) du Conseil de l’Europe pour non respect de la Charte des Collectivités Territoriales qui prévoit une consultation des habitants concernés par une fusion. Il y a ceux -juristes pour la plupart- qui comptent attaquer les décrets d’application d’une loi qui serait contraire aux engagements pris par la France à travers la Charte du Conseil de l’Europe. Il y a ceux qui espèrent faire évoluer la loi, en cas d’alternance politique après les élections présidentielles et législatives de 2017. Il y a ceux qui créent des «cercles de réflexion», des mouvements, des associations et qui mobilisent les réseaux sociaux.

Il y a enfin ceux que j’appelais les «réalistes» qui comptent accepter la loi et la réforme pour en tirer un maximum pour l’Alsace et Strasbourg. Car si la loi a fait de Strasbourg le «chef-lieu régional» pour les services de l’état, rien ne permet d’affirmer -contrairement à ce qu’avancent certains bien imprudemment- que l’actuelle capitale régionale gardera son statut dans le cadre de la région élargie. En effet, six mois après le 1er Janvier, les élus d’ALCA devront prendre une décision sur ce point à une majorité des 3/5ème.

Strasbourg, toujours «capitale régionale» ? – Strasbourg, déjà chef-lieu administratif, verra-t-elle conforter son statut actuel de de capitale régionale alors que le «Pôle métropolitain du Sillon Lorrain» réunissant Nancy, Metz, Thionville et Epinal souhaite présenter sa candidature comme capitale régionale et qu’un élu de poids, le député-maire de Châlons-en-Champagne, Benoit Apparu a déclaré : «Jamais la puissance de Strasbourg ne nous irriguera. C’est trop loin.» (Le Monde des 7/8 Juin). Strasbourg, qui livre déjà bataille à Bruxelles pour être reconnue comme siège définitif du Parlement Européen, a une nouvelle bataille en perspective : elle ne sera, sans doute, pas facile et exigera beaucoup de diplomatie mais aussi d’imagination pour offrir les éventuelles compensations qui permettraient un choix en faveur de la capitale alsacienne. Depuis des semaines, les présidents et les cadres des trois régions à fusionner négocient la répartition des sièges actuels.

Il se dit, déjà, que le siège des «CESER», (comités économiques, sociaux et environnementaux qui regroupent les représentants de la société civile des régions) pourrait être installé à Metz. Le gouvernement entend d’ailleurs restructurer avant l’été, les comités des 13 régions nées de la réforme : leur mode de désignation et le nombre de leurs membres (le «CESER» d’ALCA regrouperait, sans réforme,.. 253 membres lors de ses assemblées plénières !) serait, notamment, revu.

La concurrence de Metz et Nancy ! – Les sièges des administrations seront, eux aussi, revus : le Préfet Bouillon devrait présenter ses premières propositions dans les semaines qui viennent : la confirmation du fait que le statut des classes «bi-langues» sera préservé dans les régions frontalières et qu’on continuera à privilégier l’enseignement de l’allemand est-il un premier signal adressé aux Alsaciens et aux Lorrains pour contribuer à écarter les suspicions qui pourraient être liées à l’installation éventuelle du futur rectorat commun à… Nancy ?

A six mois de la fusion, l’Alsace ne cesse d’affirmer l’importance attachée à sa politique transfrontalière, notamment pour ce qui est de la mise en place d’un marché du travail dans le Rhin Supérieur. Du reste, toute une série d’actes et d’engagements pluriannuels définis (ou en cours de définitions), ces dernières semaines par la Région Alsace, essayent d’installer des gages pour que les spécificités alsaciennes ne se diluent pas dans la «Méga Région de l’Est» ; prochaine campagne pour les élections régionales de Décembre, on n’a jamais autant parlé «d’identité alsacienne» ! L’état, les collectivités territoriales (Départements et Région), le Rectorat et l’Office pour la Langue et la Culture d’Alsace (OLCA) ont signé trois conventions portant sur la politique régionale plurilingue 2015-2018 (objectif 25% d’élèves -contre 14% actuellement- dans un cursus bi-langue en 2030), sur la confortation du rôle et des missions de l’OLCA instrument de la promotion du dialecte et de la culture régionales.

Un «conseil culturel» pour l’Alsace. – La Région crée un Conseil Culturel Alsacien composé de représentants de la société civile, des associations culturelles, du monde des arts, de la culture, des sciences, de la recherche, de l’économie et des médias : sorte de vigie d’observation et d’incitation, il sera chargé de donner des avis et de remettre des contributions sur le déploiement de la politique en matière de langue et culture régionales. Les comités départementaux de développement économique chargés de suivre les entreprises et de prospecter pour attirer des entreprises nouvelles en Alsace qui devaient fusionner depuis des années, et qui devraient disparaître car les départements dont ils relèvent ont perdu leur compétence économique au profit des régions, vont enfin se rapprocher pour créer une nouvelle structure, mais alsacienne.

Représentants du monde agricole, Région Alsace et Préfet de Région ont signé un document sur les orientations stratégiques 2015/2020 pour une agriculture alsacienne compétitive (et… biologique) tandis que le secteur agro-alimentaire (eurojournalist.eu du 27 Mai) et les exploitants agricoles ont créé, en plus de la «Marque Alsace» qui existe depuis 2012 pour toutes les entreprises régionales respectant une charte précise de qualité, un nouveau label «Savourez l’Alsace – Produit du Terroir».

Avant les trompettes de l’armistice ! – Candidat à la présidence de la future région ALCA, Philippe Richert doit assumer une sorte de «grand écart» entre la protection de ce qui fait l’essentiel et la particularité de l’Alsace et la promotion de ce qui fera la nécessaire cohérence de la future «Méga-Région de l’Est». Pas facile, mais indispensable contribution à l’avenir ! En attendant tout se passe, en cette veille de fusion, comme dans les dernières heures avant que les trompettes ne sonnent la fin des hostilités et ouvrent la voie à l’armistice : dans un ultime sursaut, on essaye de gagner un espace supplémentaire.

Contraints de se soumettre à une réforme imposée, les Alsaciens veulent se garantir un espace supplémentaire pour se préserver d’un risque de dilution ! En rendant compte de récents débats au Conseil Régional d’Alsace, la «Une» des DNA, le quotidien alsacien, titrait, lapidaires : «L’identité restera !» Vice-Président du Conseil Régional et Président de l’OLCA, Justin Vogel précisait : «Préservons notre identité, mais sans barbelés ou sacs de sable aux frontières de l’Alsace».

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