Regard cubain sur l’Europe en crise

Le regard d'un professeur d'université cubain sur les conséquences de la Covid-Crise en Europe.

Et si, en nous inspirant de Cuba, nous réapprenions la valeur du collectif et retrouvions le sens du commun ? Foto: Kk70088 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Jean-Marc Claus) – Le professeur d’université cubain Leyde Ernesto Rodríguez, un temps attaché d’ambassade, a vécu plusieurs années en France. Actuellement directeur adjoint chargé de recherches à l’Instituto Superior de Relaciones Internacionales Raúl Roa García, il est l’auteur de plusieurs publications sur l’Europe. La crise provoquée par la pandémie de Covid-19 a plus particulièrement attiré son attention dans l’article intitulé « Europe : Déceptions et défis géopolitiques. » publié à la mi-juin 2020.

Jean-Marc Claus / Eurojournalist(e) : La pandémie de Covid-19 aurait selon vous fragilisé l’Union  Européenne, pourtant en France certains observateurs font l’analyse inverse. Qu’est-ce qui vous permet d’être aussi affirmatif ?

Leyde Ernesto Rodríguez : La pandémie a une fois de plus montré clairement que la priorité de l’Union Européenne est de sauver les banques et les entreprises avant les gens, ce qui implique un ensemble de conceptions du capitalisme dans lesquelles l’être humain n’est pas au centre de la société. Le manque de solidarité entre les États membres de l’Union Européenne a été le plus évident en Italie, ce qu’a reconnu la présidente de la Commission Européenne, Mme Ursula von der Leyen. […] Tout semble indiquer qu’après le Covid-19, l’État aura, dans des limites importantes, une plus grande place dans l’économie, mais cela ne signifie pas que l’Union Européenne en soit sortie renforcée. Ce qu’elle essaie de faire, c’est de sauver son ordre capitaliste. Mais comme tout événement social majeur, le Covid-19 n’apporte pas seulement des coûts et des défis pour l’Union Européenne, mais aussi des opportunités pour sa survie.

La crise systémique du capitalisme, que vous faites remonter à 2008, aurait notamment pour conséquence le déclin de la valeur symbolique de l’Union Européenne. Quelle est pour vous cette valeur symbolique ?

LER : À quoi servent les pouvoirs publics de l’État s’ils ne peuvent garantir quelque chose d’aussi nécessaire et élémentaire que la vie des citoyens ? Le droit à une vie descente n’est-il pas un droit humain fondamental ? Si des emplois décents, la solidarité, la justice et la dignité ne peuvent être garantis à tous les êtres humains, alors les valeurs humaines sont perdues, le discours perd tout son symbolisme et son attrait. Aujourd’hui, l’Union Européenne n’a plus aucune valeur charismatique ou symbolique ; elle a réduit son pouvoir d’attraction et génère plus d’incertitude et de doute que d’espoir. Si les pays développés d’Europe n’ont pas pu protéger et sauver des milliers de vies, le modèle de l’Union Européenne est-il une référence à suivre pour les pays pauvres et sous-développés du Sud ? Beaucoup de pays avancés appartenant à l’Union Européenne ont colonisé et épuisé les pays aujourd’hui sous-développés. L’Union Européenne actuelle est-elle en rupture avec son passé ou dans la continuation de sa vieille philosophie de dépossession ?

Crise du capitalisme, retour des nationalismes, possibilités de nouvelles pandémies, vous font craindre l’implosion de l’Union Européenne. En quoi l’effondrement d’une organisation supranationale du monde capitaliste, serait-il pour vous une mauvaise chose ?

LER : Je pense que l’Union Européenne, en tant qu’organisation supranationale, continuera à perdre du sens et de l’intérêt pour le citoyen lambda. Cependant, sa disparition éventuelle serait un désastre géopolitique en raison de son poids dans la dynamique du système international. Le retour de l’Europe des Nations maintiendrait-il la paix sur le vieux continent ? Quelles seraient, dans ce scénario, les puissances les plus influentes en Europe : les États-Unis ou la Chine dans une nouvelle bipolarité ? Ne vaudrait-il pas la peine de construire une Union Européenne qui représente les intérêts réels de ses peuples, comme un pôle de progrès humaniste et de paix dans les relations internationales ?

Vous attendez de l’Union Européenne qu’elle devienne un « pôle de progrès, d’humanisme et de paix dans les relations internationales ». Qu’est ce qui, selon vous, pourrait permettre à l’Europe de jouer ce rôle sur l’échiquier géopolitique mondial ?

LER : Dans un système international multipolaire plus chaotique qu’ordonné, dans lequel les États-Unis attaquent toute institution multilatérale, ma réflexion est qu’une Union Européenne  authentique dans ses valeurs humaines, et non l’actuelle néolibérale, serait plus pertinente et utile que jamais. Dans un système international multipolaire, l’Union Européenne doit commercer avec le monde entier, avec la Russie, la Chine, l’Inde, le Japon, l’Iran, Cuba, parmi tant d’autres, collaborer et contribuer au développement des pays du Sud. Mais l’Union Européenne n’est pas un pôle de progrès, d’humanisme et de paix dans les relations internationales lorsqu’elle participe à la militarisation du monde.  Raisonnement valable pour d’autres puissances militaristes.

Retrouvez l’article ayant suscité cette interview en cliquant ici pour la VO ou ici pour la VF.

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