Regard espagnol sur la méritocratie

Le sociologue espagnol César Rendueles apporte un éclairage sur l'(in)égalité des chances.

César Rendueles en conférence. Foto: Luisalvaz / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Jean-Marc Claus) – Docteur en philosophie, enseignant dans plusieurs universités, le sociologue espagnol César Rendueles a publié plusieurs ouvrages. Son dernier essai intitulé « Contre l’égalité des chances » (Contra la igualdad de oportunidades) est le fruit d’une réflexion remontant à 2011, époque du « Mouvement des Indignés » (Movimiento 15-M), enfin couchée sur papier en Avril 2020, grâce au confinement imposé par la pandémie de Covid-19.

La méritocratie, thématique récurrente du discours politique de droite, est pour lui un système permettant aux élites de perpétuer leurs privilèges. Les mesures récentes de confinement des seuls quartiers populaires du Sud de Madrid, décidées par les politiques de droite localement au pouvoir, vont dans le sens de ce constat et les mobilisations des élites du quartier chic de Salamanca contre le Gouvernement Sánchez en mai en témoignent très largement.

Ces dernières années, la droite et l’extrême-droite se sont refait une santé en maniant habilement le paradoxe. Monopolisant le discours sur la thématique de la liberté, les plus réactionnaires parviennent à capter l’attention de l’opinion publique, alors que leur conception de cette valeur se réduit au « laissez-moi faire ce que je veux » (déjame hacer lo que quiera).

Or, la liberté est une expérience complexe, ne pouvant être vécue pleinement en société que de façon collective, sans quoi elle devient une soif inextinguible de satisfaction immédiate de besoins immatures. D’où la notion d’égalité, là encore instrumentalisée par les conservateurs qui, mettant en avant le sens des responsabilités et de l’effort, font abstraction de l’égalité des chances. Ceci donne alors l’expression « chat pour lièvre » (dar gato por liebre), c’est-à-dire tromper allègrement le client sur la marchandise.

Quand, comme le souligne César Rendueles, les résultats scolaires d’un enfant sont prédictibles en fonction de son code postal, la prétendue réussite au mérite n’accroît pas la mobilité sociale, mais en bloque la possibilité dans la plupart des cas. Les pays à forte mobilité sociale sont les plus égalitaires. Égalitarisme revendiqué par le chercheur et réalisable dans le cadre de politiques ambitieuses, ne visant pas le retour aux trente glorieuses, mais se tournant résolument vers l’avenir.

Écrivant surtout pour toucher les lecteurs de droite, d’où le sous-titre « Un panfleto igualitarista » en remettant une couche, cet essai prétendu contre l’égalité des chances démontre combien la méritocratie s’oppose à la réussite des moins fortunés. Il parle alors d’une lutte des classes n’opposant pas seulement les 99% au 1%, comme on l’entend souvent à gauche, mais aussi les 30% les mieux placés économiquement aux 70% restants. Cette donnée élargit le débat, car des électeurs de droite peuvent aussi se reconnaître dans ces 70%.

Mais la gauche n’est pas pour autant épargnée et encore moins portée au pinacle, car César Rendueles pointe très justement ses dissensions la rendant trop souvent inopérante. Qualifiant de légende urbaine l’idée que les mouvements émancipateurs des 19ème et 20ème siècles procéderaient d’un bloc sociologique homogène, il souligne qu’au Royaume-Uni, le personnel de maison employé par les classes bourgeoises, était au cœur des luttes progressistes au même titre que les mineurs et les ouvriers.

Cerise sur le gâteau, il suggère de tirer les leçons du néolibéralisme démontrant, par le processus de marchandisation à l’œuvre dans notre société, que certaines transformations historiques sont possibles et peuvent s’opérer très rapidement…

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