Retour rampant du fascisme à Madrid

Avec l’émergence du parti nationaliste « Vox » en 2013 et la victoire de la droite en 2021 à la Communauté de Madrid, le fascisme rampant s’installe non seulement dans la capitale, mais il s’y affiche crânement.

Une enseignante aux méthodes innovantes est remplacée par un général franquiste - signe des temps, non perçu par tout le monde comme un signe d’alerte. Foto: Capture d’écran du compte Twitter de Rita Maestre

(Jean-Marc Claus) – Fin août, Rita Maestre, la conseillère municipale et porte-parole du parti « Más Madrid », publiait dans un post sur son compte Facebook : « Millán Astray revient sur le plan des rues de Madrid et Justa Freire s’en va. La régression se poursuit dans tous les domaines. Almeida profite d’août pour accomplir ces méfaits. ». La droite (Partido Popular) ayant gagné les élections régionales dans la Communauté de Madrid et dirigeant aussi la capitale, elle n’hésite pas à s’allier à l’extrême-droite (Vox) pour liquider l’héritage de la gauche.

Un révisionnisme dont la bataille pour le Mur de Ciudad Lineal est un exemple flagrant, et contre lequel Rita Maestre est pleinement engagée. Ainsi, en phase avec Peio H. Riaño, historien de l’art et journaliste, elle publiait deux photos montrant les ouvriers de la ville, décrocher une plaque de rue et en accrocher une autre. Des gestes qui n’ont jamais rien de banal, comme on l’a vu à Villejuif où en 2014, le parvis Georges Marchais est devenu parvis Georges Mathé, suite au basculement de la ville à droite lors des élections municipales.

C’est du même esprit anti-communiste crasse et plus largement anti émancipation humaine, que procède la ré-fascisation rampante de l’Espagne. Ainsi, se saisissant d’une décision de justice administrative dont la mise en application pouvait, comme pour bien d’autres attendre, le maire José Luis Martínez-Almeida (Partido Popular) surnommé « el alcalde de los coches » (le maire des voitures), a fait diligence. En totale contradiction avec la loi relative à la mémoire historique (Ley de la Memoria Histórico) votée en 2007 et la parité, le nom du général franquiste Millán Astray remplace désormais celui de l’enseignante Justa Freire (1896-1965), politiquement engagée à gauche.

Carolina Alonso, porte-parole d’Unidas Podemos à l’Assemblée de Madrid, n’a pas mâché ses mots, qualifiant cet acte de « maldita vergüenza » (maudite honte) et le général franquiste d’assassin. L’exact opposé de Justa Freire Mendez, dont le nom apposé à une rue du quartier La Latina, en plein centre de Madrid, a été arraché le 24 août 21. Dite « La Maestra », Justa Freire, avait adhéré à l’Union Générale des Travailleurs (UGT) à l’âge de 22 ans. Née en 1896 dans la province de Zamora en Castilla y León, elle s’était installée à Madrid en 1921, où, au sein du Groupe Scolaire Cervantes, elle enseigna aux enfants d’ouvriers du quartier Cuatro Caminos, au nord-ouest de la ville.

Elle a obtenu, en 1933, la direction du Groupe Scolaire Alfredo Calderón, et y développa ses méthodes innovantes acquises lors de sa précédente affectation. Après la victoire des nationalistes aidés militairement par les nazis, l’école fut rebaptisée Padre Podeva, en l’honneur d’un prêtre monarchiste. Opposante à la dictature fasciste, Justa Freire fut emprisonnée deux ans, durant lesquels elle s’attela à l’alphabétisation de ses codétenues illettrées. C’est durant cette période qu’elle rencontra des membres du groupe de militantes « Las Trece Rosas », exécutées en 1939.

« Yo que necesito tan poco para ser feliz: trabajo y paz. » (Moi qui ai besoin de si peu pour être heureuse : pain et paix) était sa devise. Ce qui la place à mille lieues de José Millán-Astray y Terreros (1879-1954), engagé très tôt dans l’armée où il fit carrière, notamment en créant en 1920, la Légion Espagnole, sur le modèle de la Légion Étrangère Française. La devise de cette troupe de choc étant « Novios de la Muerte » (Fiancés de la Mort), il n’y a rien d’étonnant à ce que son créateur soit à l’origine de « ¡Viva la Muerte! » (Vive la Mort !), devenu le cri de ralliement des nationalistes lors de la Guerre d’Espagne (1936-1939), que le fringuant général avait lancé durant le dernier discours public de l’écrivain Miguel de Unanuno (1864-1936), prononcé en 1936 à l’Université de Salamanque.

« Venceréis, pero no convenceréis» (Vous vaincrez, mais vous ne convaincrez pas), avait répondu Miguel de Unanuno. Ivre de haine, le petit général avait également lancé « ¡Mueran a los intelectuales ! » (« Mort aux intellectuels ! »), traduisant ainsi la bataille contre l’intelligence menée avec acharnement par l’obscurantisme nationaliste en Espagne et de par le monde, dans les années trente tout comme aujourd’hui. « La ciudad está más sucia que nunca en todos los sentidos. » (La ville est plus sale que jamais, dans tous les sens), avait conclu Carolina Alonso, et ce n’est pas terminé, car une demi-douzaine de rues sont promises à des changements de noms. Des choix qui n’ont jamais rien d’anodin.

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