Révolution en Bavière, 1918

L’envol de Novembre et son atterrissage forcé

Kurt Eisner se rendant au Parlement pour remettre sa démission, quelques instants avant son assassinat Foto: Unknown / Wikimédia Commons / CC-BY-SA PD

(MC) – Le début de Novembre 1918, c’est aussi le début de la Révolution en Bavière

En France, on en parle trop peu, de ces événements bavarois. Une agitation qui a conduit à un renversement de la monarchie – Louis III – et à l’établissement d’une république socialiste d’abord composite puis, en 1919, à l’installation d’une République des conseils (en russe : soviets). La composante utopiste est essentielle dans les premiers mois, avant de s’effacer presque complètement lorsque les communistes s’emparent du pouvoir et que le pouvoir est repris ensuite par les sociaux-démocrates « bourgeois », qui assurent l’écrasement de la Révolution avec leurs alliés de l’extrême-droite ultra-nationaliste.

Novembre 1918, c’est la fin d’un cauchemar interminable, auprès duquel les représentations bibliques de l’Apocalypse ressemblent à un brouillon perdu de Babar l’Eléphant. Une joie sauvage éclate dans une grande partie de l’Europe. Une gigantesque révolte, aussi.

Aux premières semaines, il règne à Munich – puis, un peu plus tard, à Augsbourg et à Nuremberg – un état d’esprit saturé d’espérance, merveilleux. Une sorte d’éclosion spontanée comparable aux débuts de la Commune de Paris, mais bien plus encore, à Mai 68, au Printemps de Prague ou au Love Summer de 1967 à San Francisco. Ce sont les aurores des révolutions qui sont belles – et après la lumière viennent le plomb et les flots de sang.

Première semaine de novembre 1918. Le 7, à Munich, des dizaines de milliers de personnes envahissent la Theresienwiese. Une partie des manifestants se rue ensuite vers le Wittelsbacher Palais, où se tenaient les assemblées du Landtag. Tout le monde s’y précipite, et on prend possession des bancs où péroraient naguère les députés. Peu avant minuit, Kurt Eisner, barbu, longue chevelure blanche, lorgnons sur son nez, se lève et s’exclame de sa voix éraillée  : « Ce soir, nous avons vu comment on fait l’Histoire.» Eisner est l’une des personnalités principales du mouvement. Philosophe kanto-marxiste, humaniste érudit, il mène le mouvement en le dirige d’une main de velours avec ses camarades Gustav Landauer, lui-même grand intellectuel barbu, Erich Mühsam, poète anarchiste, et Ernst Toller, dramaturge expressionniste. Ils ne sont pas des doctrinaires dominateurs et trop sûrs d’eux mêmes, et Eisner ne veut pas fomenter un coup d’État ou un putsch ; sa perspective n’est pas celle de Lénine quant au rôle d’une « minorité agissante ». Il veut s’appuyer sur la plus large base possible.

On proclame la République. Le Roi de Bavière, Louis III, descendant de la très ancienne dynastie des Wittelsbach, doit partir. La famille royale se réfugie d’abord à Chiemgau, puis par peur des violences, rejoint l’Autriche, puis la Suisse, avant de revenir en 1920 à Munich.

En ce mois de novembre, puis en décembre et jusqu’en janvier, l’ambiance est joyeuse, euphorique, inspirée, rayonnante d’espérance utopique. C’est une révolution sans morts, une fête de la liberté, de la justice, de l’amour. « Croyez en vous, si vous ne me croyez pas ! », s‘exclame Ernst Toller. Echanges et débats s’organisent spontanément ; mendiants, magnétiseurs, mystiques millénaristes, chanteurs piémontais, Wanderer-poètes partagent leurs propositions pour l’avenir le plus beau que puissent vivre l’État libre de Bavière et ensuite, certainement, l’Europe. La vie après 4 années de monstruosités guerrières est enfin belle, plus belle que jamais.

Les grandes villes bavaroises se rallient à Munich : Augsbourg, Nuremberg, Passau, Rosenheim. Kurt Eisner appelle à une démocratie parlementaire nourrie des revendications et des proclamations des conseils ouvriers et paysans, des soviets qui se sont formés à partir de Kiel, dans tout l’Empire allemand. Démocratie de base, décentralisée, véritablement anti-autoritaire que Bela Kun reprendra bientôt en Hongrie et que théoriseront Pannekoek ou Mattick. On est loin de la praxis léniniste.

En janvier 1919, on élit le nouveau Parlement. Les femmes votent aussi. Hélas, deux mois seulement après le renversement de la monarchie, l’USPD d’Eisner et de ses amis politiques font un score catastrophique : 2,3 % ! On se doute bien que les campagnes bavaroises ne votent pas pour un intellectuel juif à cheveux longs et partageux… Pendant quelque temps encore, les sociaux-démocrates modérés l’emportent. Ce score est cependant une grave déception ; l’euphorie est passée.

Le 21 février, Eisner fait ce que ferait un démocrate : il se retire de sa fonction dirigeante de Ministre-président. Le 21 février, il se rend en cortège au Parlement pour y remettre sa démission. Mais en chemin, il est abattu de 2 balles dans la tête par un aristocrate monarchiste et ultra-nationaliste, le comte Anton von Arco auf Valley, membre de la hideuse Société THULE, qui défend un racisme illuminé. Arco vient d’ailleurs d’en être exclu parce qu’on s’est aperçu que sa mère est d’origine juive !

C’est l’absolue consternation. Le deuil est sincère et immense : il semble que sa mort fasse aimer plus encore et par ses adversaires cet intello juif à lorgnons : comme on sait, la mort révèle aux esprits lents et petits la valeur des femmes et des hommes. 100 000 personnes au moins suivent son cercueil dans les rues de la capitale bavaroise.

Mais cet assassinat fait basculer la Bavière dans un chaos qui, à partir de mai 1919, virera au cauchemar.

Après la mort d’Eisner, on s’achemine vers la catastrophe. Début avril, la République des Conseils est créée. Les communistes stricto sensu s’en abstiennent généralement et même, parfois, barrent la route aux républicains modérés ou libertaires. Mais ils prennent bientôt le dessus, suivant fidèlement les recommandations pressantes de Lénine au pouvoir en Russie depuis 2 ans. Une Armée rouge se crée : elle enrôle des ouvriers, d’anciens soldats démobilisés, quelques paysans pauvres et des chômeurs. Cet ensemble de 10 000 hommes environ est plutôt hétéroclite, mais la main de fer des alliés de Moscou impose une discipline rigoureuse.

La répression, inévitable et attendue, commence très vite, en mai. Des militaires réguliers de la Reichswehr et des corps francs s’attaquent à la République des Conseils avec une violence paroxystique. Ils sont aidés par tout ce que le socialisme compte d’adversaires, qui tirent sur tout ce qui ressemble de près ou de loin à un intellectuel juif ou à un ouvrier rouge.La terreur barbare et la répression font rage. Les dirigeants communistes eux-même organisent une contre-terreur, qu’on nommera Terreur rouge (qui cependant fera infiniment moins de victimes que la répression « blanche » des mois de mai et juin, malgré les chiffres délirants qu’en donne la propagande de droite). Des centaines de morts jonchent les rues de Munich. Le dernier réduit assiégé sera Rosenheim, au sud de l’État libre. Puis elle tombera. Ou plutôt, elle brûlera, arrosée au lance-flammes.

Gustav Landauer est piétiné à mort par les spadassins dans la cour d’une caserne. Ernst Toller se dissimule dans un réduit pendant plusieurs semaines et parviendra à s’enfuir aux Etats-Unis par la Suisse ; il se suicidera en 1939. Erich Mühsam, lui, les nazis le massacreront en 1934 au camp d’Oranienburg. la tête fracassée et noyé dans un urinoir, après des mois de tortures et d’humiliations. Et Thomas Mann, occupant la vaste et luxueuse villa munichoise offerte par ses beaux-parents juifs, ne cesse de se répandre en termes orduriers et assassins – sur les juifs.

La Révolution bavaroise est relayée à partir de mars 1919 par la Révolution hongroise de Bela Kun – qui finira elle aussi après quelques mois dans un bain de sang.

Ainsi finit l’une de ces révolutions allemandes qui semblent vouées, par une fatalité invincible, à échouer et à finir dans le pire des cauchemars. Celle-ci suit un scenario vu aussi partout ailleurs : de l’utopie, on passe aux luttes de factions, aux répressions internes, puis à l’écrasement. Il semble que ne soit possible de socialisme réel que la social-démocratie…

 

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