Rhin Supérieur : nous sommes tous de mauvais ambassadeurs

Il y a de nombreux malentendus entre l’Alsace, les régions limitrophes, Paris, Berlin et l’Europe. Au lieu de vouloir désigner des coupables, on ferait mieux de nous activer !

Pour éviter des malentendus entre l'Alsace et le reste du monde, il ne serait pas mal de se passer d'une polémique qui risque de mal passer. Foto: Paralacre / Wikimedia Commons / CC0 1.0

(KL) – Qu’est-ce que nous communiquons mal dans la région du Rhin Supérieur ! Mettez-vous une seconde à la place de quelqu’un à Wuppertal, Göttingen ou Emden, à Limoges, Agen ou Orléans, et imaginez ce que cette personne puisse bien penser de questions comme celle du régime de la sécurité sociale des frontaliers. Les gens s’en fichent. Mais au lieu de leur expliquer l’Alsace, la région frontalière, les Eurodistricts, notre perspective européenne, nous parlons des vertus de la coopération transfrontalière, de projets Interreg, d’Eurométropole, sans que les gens qui ne connaissent pas notre région, puissent comprendre de quoi il s’agit. Et non, pour une fois, ce ne sont pas (uniquement) les élus qui sont en faute, mais nous tous. Parce que nous, à titre individuel, n’expliquons pas qui nous sommes à nos compatriotes.

Restons donc un moment à, disons, Limoges. Là-bas, lorsque vous évoquez la «réforme territoriale», les gens pensent aux images de la manif à Strasbourg, aux centaines d’élus arborant fièrement le gris de travail du maire de village, brandissant des pancartes que peu de gens ne peuvent comprendre en dehors de l’Alsace, disant des choses comme «Suurkraut un Quiche passe net guet zämme» – pensons-nous réellement que cela rassure les gens à Limoges (ou à Paris) quant à la bonne volonté des Alsaciens d’être et de rester de bons Français, au même titre que d’être de bons Alsaciens ? Hoplá. Et pourtant, ceci s’applique à 98% des Alsaciens qui ne songeraient même pas une seconde à une quelconque autonomie de l’Alsace. Seulement, en dehors de notre région, personne n’est au courant. Parce que les Alsaciens n’expliquent pas leur appartenance sans faille à la France.

Toujours à Limoges (ou Wuppertal, au choix), lorsque nous parlons de la «coopération transfrontalière» comme si c’était la plus naturelle des choses, nous oublions que ce terme, qui évoque pour nous une réalité de la vie quotidienne, est considéré ailleurs comme un truc un peu altruiste, un peu poussiéreux, une sorte de jumelage renforcé, presque un peu ringard, genre «visite croisée des orchestres des sapeurs-pompiers bénévoles». Mais comment est-ce que le terme «coopération transfrontalière» pourrait signifier autre chose pour quelqu’un qui ne vit pas ces échanges transfrontaliers tous les jours ? Pire encore, nous ne l’expliquons pas non plus à Paris et Berlin. Dans nos capitales, la chose franco-allemande est vécue comme quelque chose de sympa. De culturel. Des pièces de théâtre dans l’autre langue, des expositions d’œuvres d’artistes du pays voisin, des verres de l’amitié lors de dates commémoratives, et ça s’arrête souvent là. Pas toujours, mais souvent. Pourquoi ? Parce que nous tous, Alsaciens comme Badois, nous ne nous faisons pas ambassadeurs de notre région partout où on ne nous connaît pas.

Dans la région du Rhin Supérieur, nous sommes presque 6 millions d’habitants. Notre PIB est comparable à celui de l’Irlande. Parmi ces six millions de gens, combien profitent de leurs déplacements ou rencontres pour expliquer notre région ? Une région qui est transfrontalière, sans pour autant présenter le moindre risque d’une défection nationale – les Badois sont des Allemands, les Alsaciens sont des Français. Nous sommes assez nombreux pour communiquer – mais nous ne le faisons pas.

Bien sûr, l’Alsace a souffert d’un passé des plus mouvementés, changeant sans cesse entre les mains des deux pays. C’est ainsi que s’est développé une mentalité particulière qui, malgré la présence de deux langues et de deux cultures qui se mélangent dans le quotidien, est solide. Mais la discussion autour de la fusion des région aura été très mal menée par les responsables alsaciens. Car ce qui est considéré partout comme un «repli sur soi», c’est la crainte de voir disparaitre cette identité alsacienne que notre éditorialiste Alain Howiller a si bien défini : «Est Alsacien toute personne qui vit en Alsace, indépendamment de ses origines ou de sa nationalité.» Voilà l’Alsace que nous ne communiquons pas. Cette Alsace ouverte au monde, décrite par le grand Carl Zuckmayer comme une terre de rencontres et de mélanges où se sont côtoyés marchands phéniciens, légionnaires romains, humanistes néerlandais ou guerriers celtes et finalement, toute l’Europe. Et nous, nous pensons que tout le monde doit être au courant. Mais c’est faux.

Les 6 millions d’habitants du Rhin Supérieur ne doivent pas laisser leur avenir entre les seules mains des élus. Il nous incombe à nous tous de communiquer, à faire connaitre notre région, ses spécificités transfrontalières, que nous soyons Alsaciens ou Badois – à nous de rassurer nos gouvernements et partenaires quant à nos motivations de garder une région Alsace sans fusion, car il y a de bons arguments pour une telle région. A nous de les communiquer au lieu de menacer nos pays par des paroles qui évoquent une époque révolue.

Il ne suffit pas de nous rencontrer entre nous pour nous assurer mutuellement que nous sommes des gens bien qui mériteraient leur région à eux. A nous d’éjecter tous les esprits dérangés de nos démarches, les extrémistes qui rêvent d’une Alsace autonome – ces gens là empêchent un véritable débat raisonnable et ne font qu’augmenter la crainte dans nos capitales quant à la fiabilité républicaine de notre région. A nous de communiquer avec tout le monde sur nos attentes, nos possibilités et notre apport à la bonne marche des affaires dans nos pays respectifs.

Dans la région du Rhin Supérieur, nous vivons un petit modèle européen dans la vie quotidienne. Et cette vie dans un mode européen, elle est indispensable pour l’avenir de notre région. Les partenariats transfrontaliers peuvent donner de bons exemples d’une coopération réussie (et parfois moins réussie…) à d’autres régions. Et à l’Europe.

Mais nous, Badois et Alsaciens, il faut absolument que nous quittions notre attitude presque arrogante. Si nous voulons exister comme une région unique, transfrontalière, à forte vocation européenne, il faudra abandonner les tranchés d’une «guéguerre culturelle» – il faut que nous expliquons aux autres où nous voulons arriver. Pour l’instant, nous communiquons aussi mal que les institutions européennes – peu étonnant que le courant ne passe pas à l’heure actuelle entre l’Alsace et les autres.

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