Roumanie : la justice bientôt captive ?

Suite de la confrontation entre le Président et le PSD au pouvoir

Une vue du centre de Bucarest (Rio Dambovita) Foto: Diego Delso / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 4.0Int

(MC) – En juillet dernier, le Président Iohannis, cédant à la pression du gouvernement PSD (Parti Social Démocrate), a limogé la procureure dirigeant l’Agence contre la Corruption (DNA), l’admirable Laura Codruţa Kövesi. Il satisfaisait ainsi après des mois de refus à une règle édictée par la Cour constitutionnelle  manœuvrée en réalité par le Parti Social-Démocrate. Le gouvernement accusait la procureure d’abus de pouvoir ; mais de très nombreuses personnalités luttant contre la corruption la soutenaient, et la majorité de la société civile avec elles.

Trois mois plus tard, en octobre, le gouvernement – le ministre de la Justice – a donc nommé Adina Florea au poste. Personnalité plutôt effacée, marionnette manœuvrée par le PSD ? Klaus Iohannis a rejeté cette proposition le 21 novembre dernier. Et avec elle, d’autres procureurs proposés par le pouvoir.

La Commission Européenne, début novembre, a reproché à la Roumanie d’imposer une régression à ses réformes anti-corruption. Frans Timmermans, le premier vice-président de la CE, a déclaré : « Je constate avec regret que la Roumanie n’a pas seulement bloqué ses processus de réforme, mais a même fait marche arrière sur des résultats où des progrès étaient effectifs depuis une décennie »… La CE dénonce des pressions contre l’indépendance de la justice, et particulièrement sur la DNA. Elle a aussi condamné plus tôt dans l’année les changements contestables (et suspects) du Code pénal quant à la législation anti-abus de pouvoir. En août, plus de 120 000 personnes ont manifesté dans les rues de Bucarest ; le choc a été rude contre une police particulièrement agressive et violente.

La société roumaine semble à nouveau polarisée comme elle ne l’a sans doute pas été depuis la fin de l’ère Ceausescu, en 1989-1990. Le président, comme on peut le voir, sert de porte-parole de la société civile, du moins de sa partie majoritaire. Mais l’origine même du PSD au pouvoir, son fonctionnement interne et externe, explique qu’on n’a pas ici un schéma sommaire qui opposerait société et pouvoir, mais bien plutôt la partie à titres divers clientélisée de la société et la partie… résiduelle.

Cela est largement un effet de l’histoire du parti. Le PSD est le vrai héritier du Parti communiste de la période 1945-1989, par conséquent de celui de l’ère Ceausescu. Voilà comment.

Dans la période chaotique qui suit la chute du Conducator et de sa géniale épouse omnisciente, un Front de Salut National s’est formé. A l’intérieur de ce Front, peu de temps plus tard, une scission s’est formée entre les communistes « orthodoxes », menés par Ion Iliescu, et les socialistes « réformistes » sous le panache rose de Petre Roman. C’est ainsi que Ion Iliescu a fondé le Front Démocratique de Salut National, le FDSN, véritable ancêtre du PDS au pouvoir actuellement.

La période inaugurale, période clé par excellence, est celle des années 1992 à 1996 : Ion Iliescu est élu Président de la République, et le FDSN se retrouve à la tête du gouvernement. Mais c’est en coalition avec le «  Rectangle rouge », un étrange échafaudage branlant composé, outre du FDSN, de deux partis nationalistes (le PUNR et le PRM que préside Tudor, souvent figuré comme un vampire transylvanien) et un parti né du PCR de la Ceauşescu Connection, le Parti socialiste du Travail que dirige le pénultième Premier ministre du Conducator, Ilie Verdet, mort en 2001. L’année où le FDSN a pris le nom de Parti Social Démocrate, à la suite d’une fusion avec un autre parti « de gauche »

Curieusement, le FDSN sort plein d’assurance de cette expérience, renforcé dans ses vieilles habitudes et ses vieux démons. C’est que de 1992 à 1994, tous les ministres sont FDSN. Coucou, les revoilou, ceux qui ont trouvé pouvoir et aisance matérielle sous l’aile du dictateur communiste. Ils n’ont fait qu’adapter leurs méthodes aux circonstances nouvelles…

Dans ses stratégies et ses manœuvres de pouvoir, le PSD, en effet, a recyclé sans cesse d’anciens responsables participant naguère de la nomenklatura Ceausescu, qui ont formé des politiciens plus jeunes à ses manières de faire : elles se caractérisent par un intense clientélisme (et donc une sévère corruption), un autoritarisme indécrottable, un exercice opaque – on dirait même : obscurantiste – du pouvoir. Au fil des années, s’y est ajoutée une solide couche d’opportunisme et de cynisme : les dirigeants de ce parti « social-démocrate » n’ont parfois pas hésité à tenir des discours antisémites, ou bien tout récemment en 2018, à organiser un vote démagogique anti mariage gay, qui cependant s’est soldé par un énorme fiasco.

Pour ces raisons, il n’existe sans doute pas de solution interne au PSD pour refonder une gauche démocratique et sociale-démocrate en Roumanie. Il faudrait enfin appeler à la formation d’un nouveau parti apte à défendre la justice et la liberté concrète, sur de nouvelles bases. Le retour du PSD l’an dernier donne l’impression, partiellement juste, d’une pelleteuse mise en route en vue d’écraser la démocratie.

Pourquoi l’Internationale socialiste et le groupe socialiste au PE ne s’en occupent-t-ils pas davantage ? Le poids des habitudes, l’affection des vieux camarades ? Debout, les gars !

 

 

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