Roumanie : morts pour défendre les arbres

Arrêter le saccage des forêts primaires européennes

Une boîte où, dans les Maramures, on gardait la poudre à fusil bien au sec... Foto: Bratek51/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 4.0Int

(Marc Chaudeur) – La législation européenne est pratiquement en place depuis 2003, mais comment la faire respecter ? Le trafic du bois européen dure depuis 30 ans maintenant, depuis la privatisation des forêts. Et en Roumanie, en quelques semaines, des trafiquants mafieux ont abattu deux garde-forestiers. Il faut absolument lutter contre le massacre des garde-forestiers et des forêts dans les plus belles régions de la Roumanie : cela relève de notre responsabilité.

Plusieurs ONG roumaines et internationales ont intenté une action en justice contre le gouvernement roumain, afin qu’il agisse réellement et efficacement contre le ravage des forêts du pays. Malgré l’état de corruption de la classe dirigeante PSD du pays, le gouvernement a montré à plusieurs reprises sa bonne volonté. Mais la partie n’est pas facile contre une (ou plutôt plusieurs, semble-t-il) mafias du bois ! Comment lutter efficacement contre des gangsters armés et bien prêts à ratiboiser le pays par simple appât du gain ?

Deux hommes sont morts, l’un le weekend dernier, l’autre au mois de septembre. Le 19 octobre dernier, Liviu Pop, qui travaillait pour l’Office des Forêts de Strâmbu Baiut, a été abattu par sa propre arme après s’être interposé pour empêcher des malfrats de couper illégalement des arbres. Il était âgé de 30 ans, et père de 3 enfants. Le lieu du crime se situe au Nord de ce pays que nous aimons, pas très loin de la frontière ukrainienne, dans les Maramureş : une région magnifique, inoubliable ; l’une des plus belles d’Europe, connue (mal) pour sa pureté et ses potentialités touristiques modestement exploitées.

Ce n’est là qu’un épisode tragique parmi bien d’autres faits de violence perpétrés contre les employés de la Régie des forêts roumaine : 6 meurtres et en tout, 185 voies de fait en cinq années… Une Marche pour les forêts est prévue en Roumanie le 3 novembre prochain. Plus radicalement, les ONG de défense de l’environnement EcoNatur, Agence Green et Client Earth ont déposé une plainte contre le gouvernement roumain, afin qu’il améliore sa présence sur le terrain et son action à la fois préventive (caméras, régistration électronique des coupes) et répressive. Et implicitement, pour éviter autant que possible une trop grande tentation à la corruption…

Le problème est d’autant plus grave que le patrimoine forestier de la Roumanie est tout à fait exceptionnel. Couverte à presque 30% de sa superficie par la forêt, elle est l’un des rares pays d’Europe où subsistent des forêts primaires – des forêts qui n’ont pas ou très peu subi les essartages et les tronçonneuses des êtres humains – les autres étant, grosso modo, celle de Białowieża à la frontière polono-bélarus, celle de Perućica en Bosnie-Herzégovine et bien sûr, le Nord de la Scandinavie et de la Russie. Hélas, dès la privatisation consécutive à la fin du régime « communiste », le ravage a commencé. Aux coupes légales, en soi déjà lourdes, se sont ajoutés les défrichages illégaux et mafieux : le plus massif s’est effectué dans les presque 300 000 hectares de la forêt protégée de Retezat (S.-O.), où ont « disparu » 12 hectares d’arbres de diverses essences. Et dans l’ensemble du pays, des centaines de milliers de coupes illégales.

Il existe une législation européenne censée permettre de lutter contre ce fléau : le Forest Law Enforcement, Governance and Trade depuis 2003 – mais elle est insuffisante, plus efficace dans le cas de bois provenant de pays extérieurs à l’Union Européenne. Et le RBUE (Règlement Bois de l’UE), plus récent, est plus pertinent, mais souvent contourné sans conséquences pour les contrevenants. On en constate d’ailleurs l’absence d’effets jusqu’aux extrémités occidentales de l’Allemagne… L’inscription de 20 000 hectares de forêt au Patrimoine mondial de l’UNESCO n’a pas servi à grand chose non plus. Restent les moyens de contrainte légale, en l’occurrence contre l’État roumain, afin qu’il applique du mieux possible les lois existantes et les rende réellement dissuasives .Certes, la voie pénale a davantage d’effet contre le trafic illicite par des sociétés officiellement enregistrées : on l’a vu en 2015, lorsque la Holzindustrie Schweighofer, une grande, fameuse et fort ancienne entreprise autrichienne, a été condamnée – et ceci surtout grâce au WWF et à l’Environmental Investigation Agency dont la directrice porte un nom pittoresque et on ne peut mieux approprié : Alexandra von Bismarck… Deux ONG américaines au demeurant. Reste que les pressions sur le gouvernement représentent sans doute le seul vrai moyen de lutte.

La sagesse des Tutsis nous l’apprend : « Deux léopards ne se promènent pas dans la même forêt ». Un seul y a sa place et y suffit, en effet.

 

 

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