Roumanie : protection des données et corruption

Abus du Règlement de protection pour museler les médias

Liviu Dragnea, un social-démocrate un peu particulier... Foto : activist / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 2.0Gen

(MC) – En Roumanie, jeudi le 8 novembre, l’Autorité de Protection des Données personnelles (ANSPDCP) a ordonné à RISE Project, un média indépendant d’investigation, de révéler les sources utilisées par ses journalistes dans un reportage sur une fraude à la subvention européenne. Cette fraude impliquerait Liviu Dragnea, le Président de la Chambre des Députés, dirigeant du parti actuellement au pouvoir, le PSD. Si RISE refusait de comparaître en justice, il aurait à verser 20 millions d’euros… La lettre des autorités roumaines à RISE cite le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD, 2016/679) comme base pour ordonner à RISE de révéler ses sources !

C’est là un cas d’utilisation perverse de ce Règlement, un véritable abus de pouvoir. Le but de ce Règlement, en effet, entré en vigueur dans les jours qui ont précédé le scandale Facebook- Cambrige Analytica, est de protéger la vie privée des citoyens et d’empêcher que soient étalés sur la place publique des éléments qui relèvent de la vie privée et de l’intimité personnelle. Mais quand ces données concernent un Premier ministre, qu’elles exposent des documents très précis et des faits irréfutables de collusion avec une entreprise privée et de corruption, c’est tout différent, n’est-ce pas ? D’autant plus que la présidente de l’ANSPDCP, Ancuţa Gianina, est rétribuée par le PSD… et impliquée dans un cas de corruption (détournement de fonds publics).

L’article concerne l’entreprise immobilière Tel Drum SA. RISE a rédigé un texte début novembre qui décrit le contenu d’une mystérieuse valise bourrée de textes, de données, de photos et de vidéos ; des documents qui relient clairement Tel Drum à Liviu Dragnea et exposent comment cette entreprise immobilière et son petit camarade ont détourné des subventions européennes d’un montant considérable, se chiffrant à une bonne centaine de millions d’euros . Cette valise a été trouvée par les journalistes de RISE dans la région (le judeţ) de Teleorman, région natale de Dragnea ; raison pour laquelle on parle maintenant de #TeleormanLeaks…

Si le site ne répond pas dans les 10 jours, il encourt une amende de 650 euros par jour et jusqu’à 20 millions d’euros. RISE a répondu sur FB : « On essaie de nous intimider en évoquant la législation européenne, après qu’on a accusé les personnes en question de voler l’argent de l’Union Européenne ! »

La semaine précédente, Dragnea avait tenu une conférence de presse. Il était venu avec une valise pleine de beignets ; référence à un proverbe roumain disant : « Vous vendez des beignets ! », ce qui signifie : vous mentez !

Mais en novembre 2017 déjà, une enquête avait été menée sur les liens Tel Drum – Dragnea ; depuis, deux des représentants de l’entreprise sont sous investigation pour une fraude possible aux fonds européens. Dragnea avait déjà menacé RISE de cette manière : « Cela arrive à nouveau. L’an dernier, ils ont essayé de nous intimider en lâchant sur nous l’Agence des Impôts dans nos QG », dit Mihail Munteanu, membre de RISE. « Nous protégerons nos sources et continuerons à publier des textes sur tous les sujets d’intérêt public, y compris ceux impliquant Liviu Dragnea et Tel Drum.»

Le 12 novembre dernier, la Commission Européenne a pressé les gouvernements de ne pas mésuser ou abuser du règlement RPGD, après qu’une tribulation très analogue à celle qui secoue les milieux politiques en Roumanie s’est reproduite en Hongrie. Margaritis Schinas, le porte-parole en chef de la CE, a en effet tenu une conférence de presse où il a déclaré : « Le RGPD énonce clairement que la protection des données doit être contrebalancée par la liberté d’expression et d’information. Utiliser le Règlement contre ces deux autres droits fondamentaux, c’est clairement abuser de cette réglementation ».

Fondé en janvier 2001, le Parti Social Démocrate roumain, membre du Parti Socialiste Européen et de l’Internationale Socialiste, est une émanation de la « révolution » anti-Ceauşescu de 1989. Il connaît actuellement une grave dérive : corruption et atteintes incessantes au DNA (Parquet anti-corruption), cette admirable institution conduite jusqu’au 9 juillet dernier par une femme elle-même admirable, Laura Codruţa Kövesi. Ce jour là, le gouvernement PDS a purement et simplement limogé la dirigeante du DNA.

Les espoirs roumains et européens d’une social-démocratie réelle où régnerait la liberté d’expression semblent aujourd’hui s’éloigner. Mais contrairement à d’autres, le peuple roumain est très actif politiquement, et vivement concerné par l’avenir de son pays.

 

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