Sanctions américaines contre Nord Stream 2

Jaloux, va !

Nord Stream Nessie Foto: Immanuel Giel/Wikipédia Commons/CC-BY-SA/ PD

(Marc Chaudeur) – Hier, la Chambre des Représentants a décidé de sanctions contre les entreprises qui prennent part au chantier de l’immense gazoduc qui doit relier la Russie (plus exactement, le port estonien de Narva) à l’Allemagne, sous la Baltique. Levée de boucliers du côté allemand : contre les sanctions américaines, certes scandaleuses, mais aussi contre le risque qu’agite les Etats-Unis, comme un chiffon rouge : celui de la dépendance énergétique européenne envers la Russie. Ce qui est une affaire plus complexe.

Le procédé est très trumpien : vous travaillez avec les Russes ? Hop, la fessée ! Mais il y a évidemment le problème de ce travail très rapproché avec la Severneftgazprom, filiale de la Gazprom, donc avec Moscou. On se souvient du rôle qu’a joué l’ex-chancelier « social-démocrate » Gerhard Schröder dans l’obtention de ce marché de Nord Stream 2 (prêt allemand d’un milliard d’euros, puis rôle de direction joué dans la Gazprom même). Aujourd’hui, le chantier se trouve aux alentours de l’île de Bornholm ; sur les 1230 kms du pipeline, il reste à peu près 300 kms à construire jusqu’au terminus de Lubmin, près de Greifswald. Pourquoi alors ces menaces américaines tardives ? Cela mériterait un développement indépendant. Sont concernées, en tout cas, outre Gazprom, les entreprises allemandes Wintershall et Uniper.

Hier en tout cas, le ministre de l’Economie allemand CDU, Peter Altmaier, a « regretté » la décision de Washington, de même que le ministre des Affaires Etrangères SPD, Heiko Mass : ils pointent le fait qu’il s’agit là de mesures extraterritoriales qui ne concernent pas directement les intérêts des Etats-Unis. Mercredi, le commissaire européen du Commerce Phil Hogan a, quant à lui, pointé l’absence de pertinence de ces sanctions envers ces affaires d’une totale légalité ! Malheureusement, cela n’y changera rien : le texte sera presque certainement signé par Trump après un parcours qui le mènera d’abord du Congrès au Sénat pour se trouver enfin sous les doigts courtauds du Président. Au demeurant, c’est déjà une histoire ancienne : les premières menaces américaines datent de juin 2017 et émanent du Sénat ; elles se sont cependant considérablement assouplies à l’automne de la même année.

Mais les Etats voisins de la Russie, la Pologne (cependant très discrète) et surtout, l’Ukraine, ne partagent pas l’indignation des Allemands et de l’Union Européenne. Ce point, le Sommet ” Format Normandie” de Paris, lundi dernier, l’a à peine effleuré, alors qu’il concerne les intérêts vitaux de Kyiev ! Mercredi, les autorités ukrainiennes ont donc exprimé leur approbation des sanctions américaines… Le gazoduc Nord Stream 2, en effet, traverse la Baltique, au Nord des frontières, et évite donc soigneusement l’Ukraine : manque à gagner considérable pour celle-ci, et disparition d’un moyen de pression utilissime pour le gouvernement que dirigent depuis quelques mois Selensky et Gontcharof.

On se refile donc la betterave chaude : à savoir la menace terrible pour l’Europe de se livrer pieds et poings liés soit à l’Empire américain, soit à l’Empire russe. En bref, de risquer une dépendance énergétique totale à l’un ou à l’autre. Les médias poutiniens à large diffusion européenne, hier, ne se sont pas fait faute d’insister sur l’agressivité américaine à l’égard de la souveraineté de l’Union Européenne ! La réalité est évidemment bien plus complexe, comme en témoignent les chiffres aisément accessibles des échanges économiques et énergétiques.

En somme, le plus inquiétant dans ce genre de menaces qui ne concernent pas directement les Etats-Unis, mais plutôt ses débouchés et son influence dans le monde, c’est précisément la crainte américaine à l’égard de cette influence et de ces débouchés. Cela n’est nullement rassurant pour nous – pas davantage que le fourmillement des agents russes dans Berlin et dans Paris – puisque guerres économique… et militaire sont d’abord motivées par la peur. Et surtout par la peur d’avoir peur !

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