« Saudade », mot de l’année 2020 au Portugal

Élu mot de l’année 2020, « saudade » parle à plus d’un titre, de l’âme et de l’état d’esprit des Portugais. Explications.

Non, la saudade n’est pas une impasse ! Foto: Manuel Menal / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 2.0

(Jean-Marc Claus) – A l’issue d’une consultation en ligne durant tout le mois de décembre, comme chaque année depuis 2009, la maison d’édition « Porto Editoria » a annoncé, début janvier, le mot de l’année écoulée. Pour 2020, c’est le difficilement traduisible « saudade » qui, avec plus d’un quart des 40.000 suffrages exprimés, devance « Covid-19 » et « pandemia ».

La 12e édition de cette votation tendait à devenir de plus en plus populaire, car 10.000 votants s’y sont ajoutés en 2020. Les confinements partiels ou totaux et les couvre-feux, ont très probablement incités les Portugais(es) à la lecture, et pas seulement de livres de cuisine.

Les mots des années précédentes furent « violence domestique » (2019), « infirmière » (2018), « incendies » (2017), « engin » (2016), « réfugié » (2015), « corruption » (2014), « pompier » (2013), « austérité » (2011), « vuvuzela » (2010), « écraser » (2009). Des mots facilement traduisibles en français, contrairement à « entroikado » élu en 2012. Il se référait alors plus spécifiquement aux conditions d’austérité imposées au Portugal par la troïka Commission Européenne – Banque Centrale Européenne – Fond Monétaire International.

En 2020, « saudade » l’a emporté sur Covid-19 avec 26,8% des voix contre tout de même 24,4%. « Confinement » (confinamento),  suit avec 16,23%, et « écouvillon » (zaragatoa) avec 7%. La pandémie a donc laissé son empreinte sur le vocabulaire. Ainsi,  n’est-il donc guère surprenant que dans ce palmarès figurent aussi « telescola » (2,25%) et « infodemia » (1,59%).

Le premier, plus lusophone, se réfère à l’enseignement à distance via internet, dont ont pu bénéficier des écoliers, mais aussi des étudiants. Le second, traduit de l’anglais, est ce mot-valise créé par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) début 2020, pour dénoncer les fausses informations relatives à la pandémie de Covid-19.

« Saudade », élu en 2020, nous est plus connu de ce côté-ci des Pyrénées sous sa forme cap-verdienne « Sodade », grâce à la célébrissime chanson de l’album « Miss Perfumado » (1992) de la diva au pieds nus Cesária Évora (1941-2011). Un texte écrit dans les années cinquante par le compositeur et parolier cap-verdien Armando Zeferino Soares (1920-2007), qui fut d’abord popularisé en Afrique lusophone par le chanteur angolais Bonga en 1974, année de la Révolution des Œillets au Portugal.

La « saudade », trop souvent associée à tort au seul mal du pays, est un mélange de mélancolie et d’espoir. Amália Rodrigues (1920-1999), la reine du « Fado », la décrivait comme une épine amère et douce. Or, c’est bien dans l’apparente incohérence de cette métaphore, que réside la cohérence du sentiment qu’elle exprime. Personne ne pouvant s’affirmer exempt de toute contradiction, la coexistence du plaisir et du déplaisir ou de la joie et de la tristesse, ne devraient pas nous être étrangères.

Pourtant, l’excès de rationalisme affiché par certains, à une époque où, suite à une pandémie, reviennent en eux les peurs les plus irrationnelles, a quelque chose d’infiniment plus contradictoire et incompréhensible que la simple « saudade ». Expression du manque, et de l’espoir de son comblement en retrouvant ce(ux) que les aléas de la vie ont éloigné, il ne s’agit en aucun cas de jérémiades mélancoliques et passéistes.

La « saudade », qui associe passé regretté, présent difficile et futur espéré, est une façon d’être au monde qui permet de ne jamais désespérer de l’avenir, sans pour autant se bercer d’illusions. Ainsi, la résilience dont fait preuve le Portugal, en ces temps de pandémie de Covid-19, va-t-elle de pair avec le mot de l’année 2020.

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