Sauver la ville : Prague

Le Mur John Lennon à Prague, Mur des Exaltations ! Foto: Yamen/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – L’exemple de Prague, l’une des plus belles villes du monde, est particulièrement significatif. S’il y a un domaine où nous pourrons vérifier les apports paradoxaux de la pandémie, c’est bien celui de la ville. Et nous le pouvons : il faudra absolument que nous en profitions pour remodeler les relations entre la population, la ville et les modalités sociales de son utilisation. Cela vaut pour Prague, mais aussi pour Venise et toutes les cités particulièrement menacées, notamment par l’organisation industrielle du tourisme. A une échelle moindre, pour Strasbourg, capitale européenne, aussi. Il s’agit là de politique au sens le plus plein du terme, c’est-à dire les modalités de notre socialisation et de l’organisation de sa gestion, en l’occurrence dans la ville post-moderne.

Une pétition des habitants de Prague, plus précisément d’une trentaine d’associations de Pragois, a été publié au début de ce mois de mai sur un site de défense civique qui s’appelle A2larm https://a2larm.cz/2020/ Cette pétition reprend des revendications et des propositions qui, grosso modo, sont aussi celles qu’expriment toutes les villes victimes du tourisme de masse et qui meurent à elles-mêmes : Venise, Barcelone,… cette dernière a d’ailleurs trouvé quelques remèdes citoyens ingénieux et efficaces contre la dévoration alcoolisée de ses ramblas, et beaucoup d’autres . Dont certaines n’ont d’ailleurs pas encore accédé pleinement à ce stade de la révolte et de la volonté de reconstruction sur des bases saines et vivables.

Comme un peu partout en Europe, la pandémie de la COVID-19 a restitué à nouveau pleinement pour un temps aux Pragois l’éminente beauté de leur ville, la majesté de ses monuments, le silence de ses avenues, la sérénité qui se dégage de toutes ces églises baroques et de tous ses bâtiments. L’impression visuelle et auditive très frappante produit des réactions qui doivent elles même être la source d’un nouveau rapport à la Cité. D’où la rédaction de cette Pétition par plusieurs milliers de Pragois, dont l’excellent Courrier d’Europe centrale http://courrierdeuropecentrale.fr/ produit la traduction par André Kapsas de ce document.

Huit millions de personnes ont visité la capitale tchèque en 2019. Il ne s’agit d’ailleurs là que des touristes officiels, puisque le système de location officieuse et quasi clandestine qu’on connaît aussi partout ailleurs dans les villes de tourisme industriel fait que Prague a eu, semble-t-il, davantage de visiteurs que Berlin, l’an dernier, alors que la ville allemande est presque trois fois plus étendue ! Non pas qu’il faille s’en prendre au tourisme en tant que tel : mais c’est le tourisme de masse, secteur particulier de l’organisation industrielle de la consommation, qui pose de graves problèmes – partout en Europe.

A Prague comme ailleurs, « la vie disparaît ». Cette phrase, qu’on peut lire dans cette Pétition, on la retrouve partout : elle traduit le sentiment d’être privé de notre lieu de vie, l’impression que le sol se dérobe sous nos pas, que notre vie sociale est presque anéantie par ces masses insensées  qui se ruent à l’endroit que leurs guides leur indiquent, comme des bovins suivant leurs chefs.

Comme le dit le document : «  Une ville durable ne peut être qu’un ville qui réussit à s’occuper des besoins de ses habitants, à les protéger et à penser à l’avenir avec eux» . Et les rédacteurs pragois demandent la tenue d’un débat public sur des points en effet essentiels :limitation des locations de courte durée seulement aux appartements partagés – ce qui est une manière de rendre Prague à ses habitants permanents, en effet ; l’accent sur le logement abordable de qualité ; l’arrêt du projet d’élargissement de l’aéroport – emprunté précisément par les masses de lemmings qui pratiquent la location de courte durée et s’en repartent toujours en troupeaux ; le pétitionnaires citent les exemples de Barcelone et de Londres à cet égard. En tout cas, deux milliards d’euros seraient ainsi économisés, soit la somme pouvant servir à la construction de 20 000 logements.

Suivent d’autres propositions d’importance : soutien aux entreprises locales, et aux services consacrés à la vie quotidienne des Pragois. Exemple qui résume une partie du problème : «  Les poupées russes, le faux cristal ou les massages thaïlandais ne représentent pas Prague ou la Tchéquie, et la ville est couverte pas ce smog visuel ». Plus grand soin pour l’espace public ; plus grand engagement dans les décisions sur le développement de la ville. Enfin, le soin du patrimoine respectant les opinions et sentiments des habitants qui ont la ville comme chez-soi ; réduction de la circulation automobile.

Un mouvement pour le respect du vivre ensemble et de la prise de décision par les habitants eux-mêmes qui se généralise. Dans ce domaine au moins, il faudra que la pandémie aura servi à quelque chose. Le monde d’après, oui oui.

Pour bien davantage d’éléments de réflexion sur ce sujet, rappelons l’ouvrage tout à fait excellent d’un philosophe strasbourgeois, Mickaël LABBE : Reprendre place, Payot, 2019. Surtout le Parcours 2, au centre du livre.

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