Séisme politique en Allemagne

Pendant que l’extrême-droite remporte des résultats au-delà de ses propres espérances, les partis «traditionnels» implosent. L’Allemagne se trouve à l’aube d’une «République de Weimar 2.0».

Si Winfried Kretschmann a réussi à gagner les élections dans le Bade-Wurtemberg, la formation d'un nouveau gouvernement ne sera pas facile. Foto: Eurojournalist(e)

(KL) – Les élections régionales dans le Bade-Wurtemberg, en Rhénanie-Palatinat et en Saxe-Anhalt étaient attendues depuis un moment – il s’agissait des premières élections depuis la décision d’Angela Merkel d’ouvrir les frontières allemandes pour les réfugiés. Ce sujet ayant dominé les débats en amont de ces élections, le scrutin de dimanche était considéré comme une «élection-test» pour le gouvernement fédéral, tandis que les sujets régionaux ne pesaient pas beaucoup dans le choix des électeurs. D’abord les chiffres :

Bade-Wurtemberg :

Verts 30,4% (+6,2) ; CDU 27,0% (-12,0) ; AfD 15,0% (+14,9%), SPD 12,7% (-10,4) ; FDP 8,3% (+3,0) ; Die Linke 3,0% (+0,2). Ce résultat dans le Bade-Wurtemberg est historique à plusieurs niveaux. D’une part, il s’agit du meilleur résultat jamais enregistré par les écologistes dans une élection et jamais avant, les Verts n’aient réussi à devenir le parti le plus fort dans un Land allemand. Du côté de la CDU, il s’agit du plus mauvais résultat réalisé depuis la création du Land du Bade-Wurtemberg en 1952. Egalement historique – l’extrême-droite de l’AfD se positionne comme troisième force politique dans le Land, battant même le SPD qui lui, connaît son heure la plus noire dans l’histoire de la social-démocratie dans le Bade-Wurtemberg. Le FDP profite de la dégringolade de la CDU et du SPD (qui ont perdu tous deux ensembles, par rapport aux dernières élections régionales en 2011, 22,4% des votes) et conforte sa présence dans la diète de Stuttgart.

Qui gouvernera désormais le Bade-Wurtemberg ? Si les Verts ont gagné ces élections, ils auront du mal à former un gouvernement. La seule option réaliste serait une coalition «contre nature» des Verts avec la CDU. Mais est-ce que la CDU acceptera le rôle du «partenaire junior» des Verts ? Autre possibilité théorique – une coalition dite «allemande», donc entre la CDU, le SPD et le FDP. Toutefois, cette coalition entre trois partenaires qui défendent des positions assez différentes sur les sujets qui concernent le Land (éducation, infrastructures etc.), ne disposerait que d’une majorité d’une, maximum de deux voix, ce qui constitue un risque politique non-négligeable. Tendance : Winfried Kretschmann, le ministre-président vert, conduira le prochain gouvernement avec la CDU comme nouveau partenaire. Toute autre option risque de se traduire par une instabilité politique pouvant paralyser le Bade-Wurtemberg.

Rhénanie-Palatinat :

SPD 36,8% (+1,1) ; CDU 32,0% (-3,2) ; AfD 11,7% (+11,7) ; FDP 6,2% (+2,0) ; Verts 5,2% (-10,2), Die Linke 3,0% (+- 0). Remarquable – dans les sondages du mois de novembre, la CDU avec sa candidate Julia Klöckner affichait encore une avance de plus de 10% par rapport au SPD de la ministre-présidente sortante Malu Dreyer (SPD). Mais comme ailleurs, la CDU compte parmi les grands «fournisseurs» de vote à l’extrême-droite de l’AfD et il est assez surprenant que le SPD ait réussi à dépasser la CDU.

Qui gouvernera désormais la Rhénanie-Palatinat ? Les deux candidates Malu Dreyer et Julia Klöckner risquent de se retrouver plus rapidement que prévu. La coalition sortante SPD-Verts ne peut pas être reconduite après la perte de votes spectaculaire des Verts dans le Land. Outre une «grande coalition» SPD-CDU, seule une coalition SPD-Verts-FDP serait mathématiquement envisageable, mais le FDP a déjà exclu toute coopération avec les Verts. Et bien entendu, ces considérations partent du principe que les partis tiennent leur parole et ne coopèrent pas avec l’extrême-droite de l’AfD. Tendance : assez claire – Malu Dreyer (SPD) restera à la tête du gouvernement de la Rhénanie-Palatinat dans une coalition avec la CDU. Comme à Berlin.

Saxe-Anhalt :

CDU 29,7% (-2,8) ; AfD 24,0% (+24,0) ; Die Linke 15,7% (-8,0) ; SPD 10,2% (-11,3) ; Verts 5,0% (-2,1) ; FDP 4,8% (+1,1), autres 10,5% (+3,7). Dans ce Land de l’est de l’Allemagne, on se frotte les yeux. L’extrême-droite talonne le parti le plus fort, la CDU ? Die Linke, traditionnellement forte dans les Länder de l’est, en chute libre ? Le SPD relégué à la 4e place ? Les Verts au parlement, mais non pas le FDP (4,8%) ?

Qui gouvernera désormais le Saxe-Anhalt ? Si la formation d’un gouvernement dans les deux autres Länder est déjà compliquée, en Saxe-Anhalt, elle relève presque de l’impossible. Si la CDU reste le parti le plus fort, elle aura besoin de partenaires pour former une nouvelle coalition. Et non pas d’UN partenaire, mais au moins de deux. Car ni CDU-SPD, ni CDU-Verts disposeraient d’une majorité. Mathématiquement, une coalition CDU-SPD-Die Linke serait possible, mais dans la pratique, cette constellation est impossible. Ni la CDU, ni le SPD n’envisageraient sérieusement de coopérer avec l’extrême-gauche. Le score bluffant des xénophobes de l’AfD bloque tout. Tendance : Seule une sorte de «réponse républicaine» pourrait permettre de former un gouvernement en gardant l’AfD dans l’opposition. Dans ce cas de figure, la CDU resterait au pouvoir à Magdeburg, mais devrait être au moins tolérée par l’ensemble des autres partis (sauf AfD) pour pouvoir gouverner le Land. La formation du nouveau gouvernement en Saxe-Anhalt risque de tourner au cauchemar.

L’Allemagne a vécu une heure sombre hier – le pays glisse, à l’instar de nombreux autres pays européens, de plus en plus vers la droite et on assiste à un phénomène que l’on connaît également d’autres pays : l’implosion des partis dits «traditionnels». Mais les conséquences de cette soirée électorale ne seront pas uniquement politiques, mais aussi sociétales – la violence de la rue contre des structures d’accueil des réfugiés et des personnes à l’aspect étranger, augmentera, car de nombreux xénophobes et adhérents de l’extrême-droite prendront ces résultats comme une sorte de mission et justification pour «défendre» l’Allemagne. En multipliant les actes violents.

Ce résultat constitue à la fois un désaveu profond de la politique de la chancelière Angela Merkel et le début d’une instabilité politique en Allemagne qui pourrait bel et bien se développer vers une «République de Weimar 2.0». Avant les élections législatives en 2017 en Allemagne, il y aura encore des élections régionales à Berlin et dans le Mecklenburg-Vorpommern. Si les résultats d’hier soir devaient se confirmer dans ces deux Länder, l’Allemagne pourrait connaître non pas un séisme, mais une catastrophe politique en 2017.

La formation des nouveaux gouvernements des trois Länder ayant voté hier, prendra quelques semaines. Et on suivra attentivement l’évolution de l’AfD et de ses adeptes. Le 13 mars 2016 aura été un jour noir pour la politique et la société allemande.

Tous les chiffres indiqués sont basés sur les estimations autour de 22h00. Des déviations sont possibles.

3 Kommentare zu Séisme politique en Allemagne

  1. Vous y allez un peu fort,monsieur Littmann. Les résultats ne sont pas aussi catastrophiques et l’Allemagne connaît et pratiquera une politique de compromis. L’extrême droite ne fait pas le ” carton” redouté dans une conjoncture difficile que Angela Merkel maitrisera courageusement.
    Il y a bien pire parmi les partenaires européens.

  2. Sacré défaite de la gauche en Saxe-Anhalt. Aurait-on un nord pas de Calais allemand? Sinon la tendance générale européenne se confirme les parti-sociaux démocrates s’écroulent et l’extrême droite progresse. Et une coalition AFD-CDU n’est-elle pas envisageable comme cela à été le cas avec leurs équivalent Danois et Hollandais.

    • Kai Littmann // 15. März 2016 um 10:34 // Antworten

      Une coalition CDU-AfD semble exclue en vue des positions de l’AfD qui défend au niveau parlementaire, les positions du mouvement de la rue “Pegida”. Dans le dossier qui visiblement émeut le plus les électeurs allemands actuellement, la question des réfugiés, les positions de l’AfD et de la CDU sont tout simplement incompatibles. De plus, une coalition entre la CDU et l’AfD serait très dangereuse pour la CDU qui n’a d’autre choix que de maintenir le cap et de mieux organiser l’accueil et surtout l’enregistrement des réfugiés, ainsi que le traitement des demandes d’asile. Pour le reste, je partage votre lecture des résultats de ces élections régionales.

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