Serbie : et maintenant ?

Où vont les manifestants ?

Le Président Vucic avec Sebastian Kurz (g.) à Belgrade Foto: BfEIÄ/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 2.0Gen

(Marc Chaudeur) – Revendications sur le Kosovo et insultes contre le « traître », le Président Vučić, mépris de l’Union européenne qui elle, ne se préoccupe plus que du grotesque Brexit… Où va le mouvement citoyen de Belgrade ? Sur quoi débouchera-t-il ?

Le 13 avril, les Serbes sont appelés à venir manifester dans la capitale, Belgrade. Tous les Serbes. Cette manifestation sera sans aucun doute l’une des plus importantes, sinon la plus importante, de ce mouvement qui a commencé début décembre 2018. Le déclencheur de ces manifs était l’agression à coups de barre de fer, le 23 novembre à Kruševac, du politicien d’opposition Borko Stefanović.

Le 8 décembre, après la première de ces manifs, la chaîne de TV Studio B, non pas contre, mais tout contre le pouvoir, faisait hurler les citoyens de rire et d’indignation en expliquant que ce n’avaient été là que quelques hurluberlus qui s‘étaient battus à coups de parapluie en se menaçant mutuellement de viol et de massacre…

Puis Aleksandar Vučić, le Président, avait fait une déclaration devenue proverbiale et qui a été promue au rang de motto des manifestants : même si 5 millions de personnes s’agitaient dans la rue, a dit Vučić, il ne satisferait aucune de leurs revendications… Et très rapidement, voilà qu’un million de Serbes se retrouvent dans les rues derrière la banderole : « Un sur cinq millions »(1 od 5 miliona)!

De manière assez analogue aux Gilets jaunes français, le mouvement s’est donc élargi considérablement. Beaucoup de manifestants, dans toutes les grandes villes de Serbie, portent d’ailleurs le gilet jaune, de même qu’au Monténégro et dans d’autres pays des Balkans. Leurs revendications, presque aussi vagues que celles des batteurs de pavé français, sont en tout cas dirigées contre le gouvernement, sa corruption, le favoritisme et le clanisme, ses branchements avec la ou les mafias, locales ou non.

Un glissement s’est opéré, un peu plus lentement que chez les Gilets jaunes français : c’est que la prétention à représenter dans la rue la « société civile » a laissé paraître le roc tout nu, c’est-à-dire l’hégémonie rampante des dirigeants de l’extrême-droite. En particulier celle de Boško Obradović, du mouvement Dveri. C’est devenu, très légitimement, une source de grande inquiétude.

Inquiétude des Occidentaux, et aussi des classes supérieures serbes. En effet, l’Union européenne est en train de négocier, depuis un certain temps d’ailleurs, l’accueil de la Serbie… et du Kosovo en son sein. Or, on entend de plus en plus, dans les rues de Belgrade et de toutes les villes (car les manifestations ont lieu partout dans le pays) qualifier Vučić de « traître »: traître à la patrie serbe parce qu’il accepté de reconnaître le Kosovo indépendant…

Comme le remarquent de façon très pertinente certains observateurs, la dernière fois qu’on a entendu de vastes rassemblements hurler des revendications et des récriminations concernant le Kosovo, c’était il y a 30 ans. Slobodan Milošević était au pouvoir. La guerre commençait très peu de temps plus tard. Catastrophe séculaire pour l’ensemble des Balkans. Mais c’est surtout en 1996 que la situation était critique, et ressemblait à celle d’aujourd’hui, certes en plus dramatique : les Serbes avaient manifesté durant plusieurs mois contre Milošević, mais l’Ouest ne les avait pas soutenus parce qu’on pensait que l’affreux Slobodan garantissait les Accords de Dayton…

Aleksandar Vučić le sait, et il partage ce sort avec plusieurs dirigeants d’Europe centrale et orientale. Il devra peut-être son salut politique au soutien de l’Union européenne. Mais comment refuser de voir que la seule solution pertinente – faut-il dire : hélas ? – est l’entrée conjointe de la Serbie et du Kosovo dans l’Union ? Faute de quoi Chinois, Russes et… Turcs, comme le montre l’agitation des services turcs dans les Balkans sous les ordres d’Erdogan, se partageront le magnifique gâteau des Balkans. Ils sont à l’oeuvre depuis longtemps, d’ailleurs.

Pour les Européens, la solution la moins pire serait donc l’accueil en son sein de la Serbie et du Kosovo. Mais la population serbe, elle, ne voit pas nécessairement les choses de la même manière, puisqu’elle veut très largement se débarrasser de ce gouvernement qui précisément, est pour le moment une garantie qu’au moins, les négociations continuent pour l’intégration…

Espérons en tout cas que les dirigeants européens voient le caractère très pressant de ce problème, et parviendront à le résoudre en se préoccupant ‘autre chose que la tragi-comédie psychotique du Brexit.

 

 

 

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