Serbie : L’ Envers d’une Histoire

Un film de Mila Turajlic sur nos écrans

Srbijanka Turajlic, héroïne de la démocratie serbe, mère et propriétaire d'un appartement à Belgrade... Foto:Medija Center Beograd / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 3.0Unp

(MC) – Une porte s’ouvre : elle est restée fermée pendant 70 ans. Fermée ? Oui. Mais derrière, se trouvent 2 pièces qu’habitaient des voisins, depuis des décennies, en plein centre de Belgrade. L’appartement a été partagé en 1945, lorsque les communistes vainqueurs ont « nationalisé » cette habitation.

L’occupante principale de l’appartement, c’est Srbijanka Turajlić. C’est la mère de la réalisatrice. C’est aussi l’une des figures principales de la résistance démocratique contre le régime ultra-nationaliste et anthropophage (c’est tout comme) de Milošević. Mère, activiste civique et politique : voilà les 2 pôles du film, avec pour tropiques l’appartement, justement, qui est le vrai sujet de ce documentaire.

Mila Turajlić a déjà réalisé, en 2011, un film consacré au Cinecitta yougoslave de l’époque titiste, Cinema Komunisto. Ici, dans L’envers d’une histoire, l’effort passionnant de Mila consiste à faire tanguer sa mère de sa parole publique à une parole privée, intime, qui existe d’ailleurs bien peu. Car cette mère, Srbijanka Turajlić, est une femme d’une puissance impressionnante, dont l’activité publique remonte à 1968 : une année mouvementée et toute en mini-rebondissements à Belgrade aussi, comme on le sait trop peu – mais qui, en France, s’intéresse vraiment aux Serbes, malgré les déclarations affichées depuis plus d’un siècle…

Srbijanka, docteure en ingénierie électrique en 1969, a été l’une des animatrices du Forum démocratique à partir de 1990. Munie d’un contrat d’enseignement aux Etats-Unis, elle reste cependant en Serbie au moment où l’incendie commence à consumer toute l’ex-Yougoslavie. Elle devient alors l’un des personnages-clé du Mouvement OTPOR ! (Résistance !), à partir de 1998. Otpor est sans doute le vrai vainqueur de Milošević : quoi d’étonnant, puisque ce mouvement, qui se veut non violent, est financé à grands coups de millions de dollars par le National Endowment for  Democracy, l’Open Society Institute de George Soros et Freedom House, une émanation de James Woolsey, le fameux ex-directeur de la CIA…

Srbijanka, en tout cas, on la voit et on l’entend lors de toutes les grandes manifestations, en général violemment réprimées, de ces années 1990 tragiques et décisives.En 1999, Belgrade est bombardée par l OTAN : 3500 morts après les 200 000 imputables directement à l’ex-camarade Milošević dans tous les recoins de l’ex-Yougoslavie. C’est l’année aussi où Srbijanka est renvoyée de l’Université.

L’Envers d’une histoire nous fait traverser ces événements à la fois intimes et historiques grâce à des allers et venues entre ces deux monde et à quelques passerelles : par exemple, une réunion amicale, en 2015, entre les anciens participants des Olympiades des mathématiques à Moscou de 1964, dont la docteure Turajlić faisait partie…

Après le renversement de Slobodan Milošević en 2000, Srbijanka est sceptique : la liberté oui, la révolution peut-être, mais pour quoi faire, et comment le faire ? Dans le film, on l’entend acquiescer avec sa fille sur la nécessité d’une nouvelle révolution, la précédente étant bien inachevée, mais se demandant en qui et en quoi elle pourrait bien consister…

Ce film présente un aspect étrangement minimaliste – sans doute lié au parti pris de l’intimité… Tous les éléments d’un ensemble sont présents, mais ils nécessitent une interprétation synthétique. Ce qu’on aperçoit en tout cas d’une manière plus claire que dans la plupart des œuvres consacrées à des sujets approchants, c’est l’histoire d’une famille, depuis 1918, et mieux encore, ses déterminants culturels. Le point de vue de Mila Turajlić n’est nullement sentimental ; mais il est assez étroit, et par là même, il permet cette perspective sociologisante sur certaines racines de la contestation libérale-démocratique contre le communisme d’abord (fût-ce celui de Tito, de 1945 à 1980-1989), puis contre la dictature du « boucher des Balkans ». Le grand-père de Srbijanka, en effet, était Ministre de la Justice en 1918, lors de la fondation de la première Yougoslavie. Une famille de la haute bourgeoisie. C’est lui qui avait fait construire le fameux bâtiment achevé en 1929, héros impassible du film et victime de la restructuration socialiste après la seconde guerre mondiale.

Joie de la famille lorsqu’ elle recouvre l’intégralité de l’appartement, dont une grande partie avait été occupée par des « étrangers » (à la famille) ! Il existe des constantes dans l’histoire des pays soviétisés ou socialisés ( la Yougoslavie, comme on sait, s’était « libérée » presque sans l’aide de l’Armée rouge). Un autre grand héros de la démocratie libérale, Vaclav Havel, était issu d’une telle famille, bien plus riche encore et bien plus influente – et Havel avait récupéré le patrimoine immobilier familial dans les années 2000 , lui aussi.

En réalité, l’histoire toute récente de la Serbie, à côté d’une corruption endémique et de nombreuses atteintes aux droits, montre quelques raisons de se montrer optimiste. A condition que nous fassions la part des choses, entre la vitrine européo-centrée et la volonté réelle de consolider la démocratie concrète.

 

 

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