Serbie : la colombe et le pied de biche

Le gouvernement de Vučić va-t-il s’effondrer ?

Le trolleybus de Belgrade, en face de la Faculté de Philosophie Foto: Stevan / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 3.0Unp

(MC) – Le 29 décembre dernier, des dizaines de milliers de manifestants ont défilé pour le 4ème samedi consécutif à Belgrade. Ils protestaient contre les procédés brutaux et mafieux du gouvernement et les difficultés économiques. Le nombre de manifestants est de plus en plus important, et les autorités perdent peu à peu leur emprise sur la société serbe. Le gouvernement finira-t-il par s’effondrer ?

L’événement déclencheur de ces manifestations a été l’agression à coups de barre de fer d’un dirigeant du DS, le parti d’opposition de gauche, Borko Stefanović, le 23 novembre dernier, dans la ville de Kruševac, tandis qu’il s’apprêtait à prendre la parole lors d’une réunion politique (nous avons rendu compte de ces manifestations dans de précédents articles). Depuis lors, la situation ne cesse de s’aggraver à Belgrade, malgré le wishful thinking des dirigeants européens. Mauvais calcul du gouvernement « social-démocrate » : il a voulu semer la peur, mais en définitive, il a semé la révolte et récoltera la tempête… Aleksandar Vučic, le président serbe, a déclaré début décembre que même si 5 millions de personnes descendaient dans la rue, il n’avait nulle intention de satisfaire une quelconque de leurs revendications. Mais la foule répondait, le 29 décembre dernier : « 1 od 5 miliona », 1 million sur 5… Toujours plus de manifestants, toujours davantage de slogans ouvertement hostiles au pouvoir.

La pratique du gouvernement serbe relève du crime organisé : il est avéré, aujourd’hui, que les auteurs de l’agression contre Stefanović étaient des voyous engagés contre espèces sonnantes pour terroriser la population et la faire taire. Après la première manifestation, celle du 8 décembre, une chaîne stipendiée par le gouvernement, Studio B, a prétendu par le biais de sa journaliste, présente sur les lieux, que les manifestants étaient très peu nombreux, qu’ils appelaient au viol, au lynchage et au tabassage et qu’ils se battaient à coups de parapluie (elle n’a pas précisé s’il s’agissait de parapluies knirps). Depuis, un groupe de rap a publié un clip répétitif et drôle qui tourne en dérision ces absurdités manifestes (on dispose évidemment d’autres enregistrements vidéo de cette manif, qui montre un tableau très différent de ce que prétend cette charmante personne à la longue chevelure brune).

Depuis le début de ce mois de décembre crucial, c’est l’ensemble de la population qui semble se rassembler chaque samedi, partiellement sur le modèle apparent des gilets jaunes français (mais la base sociologique et les soubassements de ces démonstrations ne sont pas identiques à ceux des Français des ronds-points, contrairement à ce que veulent affirmer certains, en France comme dans l’ensemble des pays balkaniques et centre européens où des dizaines ou parfois des centaines de manifestants ont revêtu cette couleur bilieuse).

Et cependant, comme d’ailleurs dans toute l’Europe, ce ne sont pas des appartenances partisanes ou des idéologies qui motivent ces puissants mouvements : au contraire, les partis d’opposition et leurs dirigeants y sont rejetés de manière assez véhémente, et parfois avec un profond mépris. Lorsqu’ils occupaient les premières places, leurs résultats n’étaient pas meilleurs que ceux du gouvernement actuel – et leur score électoral virtuel est aujourd’hui, tous partis confondus, d’à peine 20 %. Il s’agit bien plutôt d’une lame de fond, du souci d’une existence quotidienne acceptable et digne.

Pour des raisons évidentes, la lutte est infiniment plus dure qu’en France, par exemple. En Serbie, la policiers sont vraiment brutaux, et ils n’attendent pas de recevoir 50 pavés de 50 cms de côté sur les coins de la mâchoire pour riposter : ils ripostent avant l’attaque, c’est-à-dire qu’ils sont plus offensifs que défensifs.

Mais qui attaquent-ils, au juste ? Le fait essentiel et le plus intéressant est l’émergence, ces 2 dernières années, de mouvements d’initiatives citoyennes dans toutes les villes importantes du pays : à Belgrade, mais aussi à Niš, à Kraljevo, à Zrenjanin, à Mladenovac, etc. Ces initiatives locales, très courageuses, s’en prennent aux réseaux du crime politico-organisé :c’est-à-dire aux groupes mafieux locaux et à leurs chefs, qui généralement, ont peu ou prou partie liée avec le pouvoir et les dirigeants politiques, qui les utilisent et en même temps, sont tenus par eux, contrôlés et financés par eux.

La manifestation du 29 décembre témoigne d’une radicalité non atteinte les semaines précédentes. On y a entendu souvent crier le slogan : « Do kraja ! «  (Jusqu’au bout !). Jusqu’au bout, vraiment ? Le mouvement populaire finira-t-il par renverser le régime ? C’est assez improbable tant que les pays occidentaux et l’Union Européenne continueront à soutenir Aleksandar Vucic. Le président serbe est rusé comme la plupart des dirigeants dans les Balkans : il fait preuve d’une impressionnante capacité à exhiber une façade Potemkine de démocratie et de docilité envers les règlements européens. Et il montre une étincelante bonne volonté à régler le seul problème qui intéresse véritablement les Européens : à savoir, la reconnaissance du Kosovo par la Serbie. L’Union Européenne y croit, réellement : Vucic serait apte à régler enfin ce problème… Mais la réalité est tout autre.

La situation est malheureusement très analogue à celle que nous avons connue à l’époque de Slobodan Milošević. En 1996, le peuple serbe a manifesté pendant 3 mois ; des milliers de personnes se massaient dans les rues de Belgrade et dans quelques autres grandes villes. En vain : les puissances occidentales, Etats Unis et Europe, se sont obstinées à voir en Milošević le garant des Accords de Dayton, signés le 14 décembre 1995 par les présidents Milošević, Tuđman et Izetbegović, qui devaient assurer la paix dans la région – au prix de la partition de la Bosnie en 2 entités séparées, d’ailleurs… L’Occident a donc soutenu longtemps l’un des pires dictateurs qu’ait connu l’Europe contemporaine au nom de la « paix »

En sera-t-il de même avec Aleksandar Vučić et son SNS ? Le dénouement de la situation pourra prendre encore beaucoup de temps. Mais ensuite ?

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