Serbie : liberté pour le lanceur d’alerte !

Aleksandar Obradović enfin libéré ?

L'usine d'armemement de Krusik (7000 employés) avant son bombardement par l'OTAN en 1999 Foto : US Department of Defense/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/PD/

(Marc Chaudeur) – Une affaire… exemplaire, au sens où elle concrétise admirablement la façon dont peut s’effectuer la corruption d’hommes politiques, dans les Balkans et… à peu près partout dans le monde ;et ensuite, la répression brutale qui s’abat sur le fautif, l’horrible délateur qui fait connaître au monde ces pratiques cependant écœurantes qui privent les citoyens de millions d’euros de ressources. La Serbie connaît actuellement un tel lanceur d’alerte qui met ses conditions d’existence en danger pour faire connaître la vérité, Aleksandar Obradović. Cette fois, la société civile serbe n’a pas laissé et ne laissera pas faire.

L’affaire met aussi en évidence la nécessité urgente de mettre en place une législation apte à protéger les lanceurs d’alerte contre la répression enclenchée contre eux par leurs chefs d’entreprise ou par les autorités politiques – ou les deux, qui très souvent se confondent comme on sait ou bien s’entendent comme cul et chemise. Une législation européenne.

Nous avons déjà mentionné plusieurs fois ce courageux whistleblower serbe au courant de l’année dans Eurojournalist. A la mi-septembre, les policiers arrêtent Aleksander Obradović, employé de l’immense usine d’armement Krušik.Il est accusé d’avoir révélé des pratiques commerciales illicites ; notamment , que le directeur (les faits sont avérés par de nombreux documents, grâce à Obradović précisément) a bénéficié de prix plus qu’avantageux lors de la vente d’armes et surtout, de munitions. L’État ? Concrètement en la personne d’un proche du président Vučić, le ministre de l’Intérieur Nebojša Stefanović : le père du directeur de Krušik, Branko Stefanović… Et l’employé s’est retrouvé en prison. On accuse Obradović d’espionnage, parce qu’il a transmis durant plusieurs années des informations à une journaliste étrangère. Une accusation grave dans un cadre légal bien flou.

Il n’est pourtant resté en prison que jusqu’au 14 octobre. Car, fait nouveau et très encourageant : la société civile serbe a recouvré ses capacités d’action et de réaction ; et ce, depuis un peu plus d’un an, depuis début décembre 2018. Ce collectif tire son nom d’un discours du président Vucic : fin 2018 en effet, Vucic avait déclaré qu il ne changerait rien à sa politique, « même si 5 millions de personnes descendaient dans la rue »… 1od5 milliona (1 sur 5 millions) a fini par réussir à transformer l’incarcération de l’employé Obradović en assignation à résidence. Ce rassemblement pour les droits civiques est allé plus loin : lundi dernier, il a remis au gouvernement une pétition signée par… 30 000 personnes ! Le document réclame la « Liberté pour Aleksandar ».

Le même jour, la première ministre, Ana Brnabić, qui n’est pas réellement réputée pour son intégrité et son indépendance d’esprit, a estimé (une fois de plus) que Obradović n’avait pas procédé selon la légalité. Ce qui est un véritable sophisme, puisqu’il n’est pas sûr du tout qu’elle même puisse préciser en quoi consiste la légalité pour un lanceur d’alerte !

Deux jours plus tard cependant, c’est-à-dire hier mercredi, la Haute Cour de Belgrade a statué sur la remise en liberté (ou non) du lanceur d’alerte. L’après-midi, elle a décidé de lever l’assignation à résidence. Attendons cependant samedi : nous saurons alors si le procureur, comme il en a la possibilité, fera appel de ce jugement ou non. Entre-temps, on imagine quelles pressions il devra subir et quel mouvement brownien agitera les autorités politiques…

Mais dès aujourd’hui, la société civile serbe, dans sa concrétisation du mouvement très large 1od5 milliona, a remporté une victoire éclatante. Elle a rompu le cercle de silence et de compromission et jeté un éclairage cru sur les pratiques opaques du gouvernement d’Aleksandar Vučić.

Reste à mener le combat, non seulement en Serbie mais dans le monde entier, pour une législation stricte et rigoureusement définie de l’activité du lanceur d’alerte. Afin d’éviter à l’avenir toute interprétation sophistique (et toute dissuasion préalable) sur des pratiques indispensables à la démocratie politique et économique.

A consulter notamment : https://www.courrierdesbalkans.fr

 

 

 

 

 

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