Situation économique : le patron entre réalisme et éthique !

Alain Howiller se penche sur un changement d'attitude des entrepreneurs. Vers un « capitalisme doux et humain » ? Est-ce possible ?

Est-ce que le capitalisme peut devenir social ou est-ce qu'il cause, comme dit l'affiche, des "dommages spirituels" ? Foto: Tony Webster from Portland, Oregon, USA / Wikimedia Commons / CC-BY 2.0

(Par Alain Howiller) – Curieusement, rares sont ceux qui, en marge de la « mini-révolution des ronds points », ont relevé que lorsque les « gilets jaunes » parlent de pouvoir d’achat, ils se tournent vers l’Etat et pas du tout vers ceux qui constituent pourtant un élément déterminant de leurs revenus : les chefs d’entreprise. Ces derniers ne s’en plaignent pas, pour ne pas dire qu’ils se réjouissent d’être un peu oubliés, même si le ralentissement de la croissance comporte des risques : l’économie française a perdu des emplois, la compétitivité a fléchi, mais comme le soulignait encore la sixième étude du cabinet EY et de la Chambre de Commerce et d’Industrie franco-allemande : « 90% des entreprises allemandes installées en France avaient trouvé que la situation économique était satisfaisante, voire bonne. » (ils étaient 41% en 2016).

S’il est vrai que le chômage a reculé et que le moral des chefs d’entreprise (comme celui des ménages) s’est amélioré malgré la situation et que les organisations patronales après quelques jours de bouderie ont retrouvé les syndicats à la table des négociations sur la convention d’assurance-chômage, les chefs d’entreprise ne se sont pas exonérés pour autant des débats sur les rémunérations excessives des patrons, le niveau des salaires, celui du temps de travail, l’égalité des chances ou la parité hommes-femmes. Si d’ailleurs, ils avaient eu quelque illusion sur leur non-implication dans la « crise des ronds points », le fait que les gilets jaunes se soient retrouvés aux côtés des militants de la CGT lors de la grève (peu suivie du reste) générale lancée le 5 Février par le syndicat et quelques alliés proches, a du leur ouvrir les yeux : ils ne resteront pas préservés, à l’écart !

Responsabilités sociétales et pouvoir d’achat - Pourtant, ils sont de plus en plus nombreux au sein du patronat à prendre au sérieux leurs responsabilités sociétales. Certains en ont voulu trouver un signe non équivoque dans le fait qu’une bonne moitié des entreprises ont fait bénéficier leurs salariés de la prime dont les pouvoirs publics avaient demandé le versement pour booster le pouvoir d’achat. Récemment, un quotidien national a mis en exergue un collectif d’entreprises qui, à Lyon, ont « décidé d’agir pour loger les démunis ». Les entreprises concernées ont décidé d’apporter leur aide (notamment à travers un fonds de dotation) pour résoudre, au-delà des aides de l’Etat, les problèmes de logement des salariés : « Ce qui tourne bien en France, ce sont nos entreprises. Alors, elles n’ont pas le choix : elles doivent s’impliquer encore plus. C’est d’ailleurs ce que souhaitent les jeunes générations de collaborateurs qui cherchent d’autres valeurs que les seuls profits », a commenté (1) le président de l’Institut Mérieux, le groupe pharmaceutique porteur de l’idée.

Les observateurs n’ont pas manqué de relever la récente nomination à la tête de Renault de Jean-Dominique Senard, ancien président de Michelin, un « patron éthique » qui au Forum Mondial de l’Economie de Davos, n’avait pas hésité à condamner la perte de lucidité et de sens d’un capitalisme irresponsable, les préoccupations financières suicidaires, la recherche de satisfaction à court terme : « Je suis pour un capitalisme responsable. Nous n’avons pas tellement le choix. C’est une question de survie. », avait-il souligné (2).

2.000 participants à Strasbourg. - Les 2.000 participants aux « assises nationales du Mouvement Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens – EDC » (qui revendiquent 3.200 membres) n’avaient pas dit autre chose au mois de mars dernier à Strasbourg : ce qu’a rappelé, il y a peu, François Bouchard, le président de la section « Alsace », l’une des 19 « régions » de l’organisation en France. Ces préoccupations se retrouvent dans le discours des hommes au pouvoir : Ministre de l’économie, Bruno Le Maire a lancé une croisade contre les dérives du capitalisme. Il condamne les inégalités excessives entre salaires et rémunération des dirigeants, exige que les multinationales paient leurs impôts en France, condamne les ravages humains provoqués par les fermetures d’usines, réclame l’imposition des « Gafa » de l’Internet ! Il s’inscrit dans le droit fil de cette déclaration d’Emmanuel Macron affirmant dans son programme : « Nous combattrons la précarité en responsabilisant les employeurs ! »

Certes, on ne peut affirmer que tous les entrepreneurs soient sensibles à cette évolution vers ce qu’on peut appeler une « marche vers plus d’éthique » : à preuve, les controverses « patronat/syndicats » sur la création d’un « bonus/malus » venant encourager ceux qui privilégient les « contrats de travail à durée indéterminée (CDI) » plutôt que les « contrats à durée déterminée – CDD ».

Le MEDEF en campagne pour l’Europe. - Mais la principale organisation patronale (le MEDEF – Mouvement des Entreprises de France » (entre 300.000 et 350.000 membres) a amorcé, avec la mise en place (en Juillet 2018) d’un nouveau président -Geoffroy Roux de Bezieux- un virage sur l’aile en faveur d’une responsabilité sociétale plus affirmée. L’organisation vient d’approuver dans des statuts vieux d’une vingtaine d’années, la modification qui s’inscrit dans le signe du temps : le MEDEF inscrit désormais dans ses statuts sa « raison d’être »… qui est (désormais) « d’agir ensemble pour une croissance responsable ». La mention, déjà adoptée à l’unanimité par le conseil exécutif du MEDEF, sera complétée dans un projet global intégrant les références à l’Europe (3) et la « notion d’entreprise durable » et soumise à une Assemblée Générale qui se tient généralement en Juillet.

En cette année de risques pour la croissance où, dans l’ensemble de l’Europe, on redoute des défaillances liées à un tassement mondial de l’activité, la marche à l’éthique risque d’être confrontée à de dures réalités. « Il y a le bonhomme avec ses valeurs et le patron avec ses contraintes », belle phrase de conclusion que nous livre là Jean-Dominique Senard.

(1) Le Figaro/économie du 01.02.2019.

(2) L’Express des 6/12 Février 2019.

(3) Compte tenu de l’enjeu européen et la perspective des élections au Parlement Européen, le MEDEF vient de lancer, sur le Web et les réseaux sociaux, une « campagne en rappelant tout ce que l’Union Européenne a apporté : l’organisation patronale invite à aller voter, tandis que Business European, regroupant 34 associations patronales, va organiser des conférences de presse et lancer un manifeste pro-européen.

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