Sommet UE : l’espace Schengen menacé

Sommet de la dernière chance pour l’Europe, ces 28 et 29 juin à Bruxelles ?

Barbelés Guillaume Piolle / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(MC) – Ce matin, avant de s’envoler pour Bruxelles, Angela Merkel a prononcé un bref discours devant les députés du Bundestag, à Berlin. Un discours concis et ponctué sur un ton tragique ; mais l’essentiel y était. Mme Merkel y a pointé du doigt que peut-être, le « destin » de l’Union Européenne se jouerait ce jeudi et ce vendredi, pendant le Sommet de Bruxelles. Parce que la question migratoire devait absolument trouver enfin une solution.

Une solution qui devrait n’être pas seulement pragmatique, mais où se jouerait l’essence même de l’Union, sa définition historique et projective. Il faut trouver une solution, a dit en substance Angela Merkel, qui manifestera les valeurs du multilatéralisme et tout simplement, montrera qu’il existe en Europe DES valeurs ; ou sinon, pas de solution ou, pire encore, une mauvaise solution ouvriraient un trou noir qui exhiberait avec obscénité que l’Europe est fermée sur elle-même comme n’importe quelle tribu M’balaoué dans la forêt perdue. Ou cette tribu amazonienne qui, selon Lévi Strauss, qualifiait la tribu voisine d’« œufs de pou ».

Avec ce problème récurrent depuis que l’Europe existe : la valeur principale à laquelle fait notamment allusion la Chancelière, c’est l’humanisme universaliste ; on considère tous les hommes comme dignes d’une existence décente, parce qu’ils sont hommes. C’est bien là ce qui a fait la force de l’Europe, certes ; mais c’est ce qui fait aussi sa principale faiblesse, surtout face à des particularismes violents et hégémonistes comme l’islamisme radical. Il faut trouver la juste mesure (une notion provenant d’un Européen illustre, Aristote, que nous pouvons lire aujourd’hui largement grâce à ses traductions médiévales arabes…).

Ce sera très difficile. Très difficile intellectuellement, mais tout autant pragmatiquement, puisque les intérêts nationaux supposés divergent ou croient s’opposer. Avec des motifs parfois légitimes : l’Italie presse pour remplacer le système de Dublin (qui fixe les migrants sur leur pays d’arrivée) par une répartition plus équitable. La Hongrie, elle, refuse toute fixation autoritaire de quota par l’UE ; elle refuse d’ ailleurs tout simplement d’ accueillir des migrants sur son sol. Et en face, les pays qui maintiennent, par humanisme de principe précisément, la ligne officielle de l’accueil – parfois avec une hypocrisie qui déborde dans un réel cynisme, comme le gouvernement français d’Emmanuel Macron.

Des positions très diverses, donc, qui risquent bien d’introduire des fractures à l’intérieur de l’Union. Assisterons- noue à la renaissance des frontières ? Des subdivisions existent déjà : le Groupe de Visegrad, surtout, qui réunit Hongrie, Pologne Slovaquie et République tchèque. Et il y a l’affreux précédent du Brexit, qui d’ailleurs est à l’ordre du jour à Bruxelles aujourd’hui, vendredi 29 : renaîtra-t-il une frontière entre Eire et Ulster ? Quelle horreur rédhibitoire… A ce propos, on ne parle jamais de Gibraltar, sous souveraineté britannique et donc soumis à des contrôles bien plus stricts que ceux de l’espace, puisqu’il en est désormais exclu (pour combien de temps?)

Mais plus largement, l’espace Schengen est-il menacé, comme on l’entend dire ? Faudra-t-il à nouveau, patienter 3 heures aux frontières des Etats européens pour y être fouillés… sous toutes les coutures ?

L’espace Schengen est sans doute la plus belle réussite de l’Union Européenne. Pas de passeports, pas de contrôles entre les pays membres depuis 1995. Une création unique dans le monde.Mais en 2016 déjà, Jean-Claude Juncker estimait que l’espace était « partiellement comateux ». On comprend aisément pourquoi : en 2015 a commencé le flot ininterrompu de migrants venus de Syrie et fuyant la guerre. Et en novembre de la même année, à la suite des attentats de Paris, la France a rétabli le contrôle d’identité aux frontières nationales. Provisoirement, disait-on… La réintroduction de frontières intérieures à l’Union est donc déjà effective. A l’inverse, 6 Etats appartenant à l’Union Européenne ne font pas partie de l’espace, l’Irlande et la félonne Grande-Bretagne parce qu’elles ont refusé y entrer. A partir de 2015, des murs ont été construits : entre Slovénie et Autriche, notamment ; et on connaît la politique actuelle des dirigeants hongrois et polonais. On a décidément une perspective bien étrange sur l’ “ouverture des frontières » en Europe…

Alors, peut-on sauver Schengen ? Faudrait-il restaurer l’esprit Schengen, et comment ? Aujourd’hui, la réponse serait plutôt prématurée. Sans doute la solution se trouve-t-elle dans une juste redistribution des responsabilités… et des quotas de migrants à travers l’Union. N’oublions pas qu’une suppression de Schengen serait extrêmement coûteuse pour tous, à commencer par la France ! Les milliards d’euros à dépenser ont certainement fait réfléchir ceux qui renâclent à verser “un pognon de dingues” pour des choses bien plus importantes et utiles.

Il faut espérer, surtout, que les Etats comme la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, l’Italie et… la France sauront faire la synthèse entre les principes abstraits auxquelles la Chancelière faisait référence ce jeudi matin et l’intérêt bien soupesé de l’Union dans son ensemble.

 

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