Spécial Cannes (7) – « Emilia Perez » de Jacques Audiard
Esther Heboyan a vu pour vous – « Emilia Perez », une comédie musicale noire fourre-tout, un film de compétition de Jacques Audiard.

(Cannes, Esther Heboyan) – Emilia Perez de Jacques Audiard est un autre conte sur notre époque dont le héros est un méchant chef de cartel mexicain, nommé Manitas del Monte, qui changera de sexe pour s’appeler Emilia Perez (Karla Sofia Gascon) et qui, à un moment de sa nouvelle vie, voudra faire le bien comme, par exemple, déterrer les cadavres des gens qu’il a fait assassiner afin de les rendre à leurs proches. Pour le seconder dans ses ambitions, il engage l’avocate Rita Moro Castro (Zoe Saldana). Se sachant mal rémunérée et ne supportant plus les mascarades de la justice dans son pays (maris meurtriers acquittés), Rita accepte l’argent sale de la drogue et les missions qui lui sont confiées. Un chirurgien esthétique est trouvé à Tel Aviv. Jessi (Selena Gomez), la femme de Manitas, est envoyée en Suisse avec ses deux enfants. La disparition du baron de la drogue est savamment orchestrée. Lorsque quatre années plus tard, Rita croise Emilia à un dîner mondain à Londres, leur collaboration reprend sous un autre angle. Et tout le monde retourne au Mexique où Emilia, se faisant passer pour la sœur de Manitas, héberge, cajole et surveille sa femme Jessi et leurs deux enfants.
Mais Audiard ne s’est pas contenté de raconter une histoire de gangster tout-puissant qui rêvait de devenir une femme. Audiard y a ajouté la magie, ou la fantaisie, de la comédie musicale. Oui, Emilia Perez est bien une comédie musicale. Et pourquoi pas ? Zoe Saldana y danse comme Cyd Charisse et chante tantôt comme une militante rageant contre le climat d’injustice, tantôt comme une porte-parole avisée s’entretenant avec un chirurgien. La comédie musicale, ici, n’est pas une rêverie à la Stanley Donen ou Vincente Minelli, mais un opéra avec des dialogues chantés ou des scènes chorales, à mi-chemin entre Bertolt Brecht et Leonard Bernstein. Audiard l’a osé.
Et pour avoir osé un tel défi, Audiard est pressenti pour la Palme d’or (si l’on écoute une certaine presse), ce qui récompenserait un troisième film français en quatre ans, depuis la reprise du Festival après le Covid (Titane de Julia Ducournau en 2021 ; Anatomie d’une chute de Justine Triet en 2023). Mais est-ce qu’Emilia Perez vaut vraiment une Palme d’or et selon quels critères ? Que serait le film sans sa musique signée Camille et Clément Ducol ? Une suite de sketchs de mauvais goût jusqu’à la béatification de l’ex-criminel ? Un récit aux innombrables rebondissements qui finissent par lasser ? En tant que spectateur, on en arrive à guetter plus la digression musicale que le développement de l’action qui, par endroits, relève du cartoon. Et l’on se dit qu’Audiard aurait pu aller encore plus loin dans son délire kitsch, que certains qualifient de « polar » ou de « thriller », en incluant des séquences d’animation. Après tout, l’improbable peut prendre plusieurs formes.
Dans Emilia Perez, on retiendra surtout la vitalité impeccable de Zoe Saldana (Neytiri dans Avatar 1 & Avatar 3 de James Cameron, 2006, 2025), la présence charnelle de l’actrice-chanteuse Selena Gomez (The Dead Don’t Die de Jim Jarmusch, Cannes 2019) et le jeu fabuleux de l’actrice espagnole trans Karla Sofia Gascon qui porte le film.
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