Spécial Cannes (8) – « Kinds of Kindness » de Yorgos Lanthimos

Malgré son titre, ce film ne parle pas vraiment de "gentillesse"... Foto: © FDC 2024

(Cannes, Esther Heboyan) – D’après le titre Kinds of Kindness (qu’on pourrait traduire par Exemples de bienveillance), on suppose que démonstration sera faite de la gentillesse dont sont capables les êtres humains les uns envers les autres. On sait en même temps que le titre n’est pas à prendre au sens littéral, car Yorgos Lanthimos pose un regard acerbe sur notre monde. En traitant des mêmes thèmes (la dynamique des relations humaines en général, la gentillesse et ses manifestations contraires en particulier) que La jeune femme à l’aiguille de Magnus Von Horn, Kinds of Kindness s’apparente, en fait, à l’esthétique froide de Club Zero de Jessica Hausner, sélectionné à Cannes en 2023.

Contenu du synopsis dans le dossier de presse : « Kinds of Kindness est une fable en triptyque qui suit : un homme sans choix qui tente de prendre le contrôle de sa propre vie ; un policier inquiet parce que sa femme disparue en mer est de retour et semble une personne différente ; et une femme déterminée à trouver une personne bien précise dotée d’un pouvoir spécial, destinée à devenir un chef spirituel prodigieux. »

Décidément, le mot « fable » semble être le fil conducteur de la sélection cannoise en 2024 – Dupieux, Coppola, Audiard, Schrader, JIA Zhang-ke, Sean Baker, Magnus Von Horn, Paolo Sorrentino, Hazanavicius… Pour décrire notre monde : ce besoin de fabrication de légendes, de légendes parfois en train d’être fabriquées sous nos yeux. Comme si le Festival de Cannes se voulait être une fenêtre sur le cinéma et ses processus de fabulation, comme si finalement, les histoires ne comptaient pas tant que ça. Le choix de l’affiche 2024, une scène de Rhapsodie en août (1991) d’Akira Kurosawa, est en ce sens fort symptomatique.

Kinds of Kindness se divise en trois histoires terribles, cauchemardesques, à la fois différentes et semblables. On y voit, premièrement, l’emprise que peut exercer un homme sur un autre homme, deuxièmement, un homme sur une femme ou une femme sur un homme, et enfin l’emprise d’une secte sur des individus. Dans les trois cas, on bascule facilement du banal à l’étrange, voire à l’horreur. En dépit du suspense instauré dans la narration et du jeu convaincant des acteurs et actrices, on s’ennuie un peu, surtout dans l’épisode 3. Mais Lanthimos pourrait recevoir le Prix du Scénario.

Au casting : Emma Stone, récompensée deux fois aux Oscars pour La la land (2016) de Damien Chazelle et Pauvres créatures (2023) du même Lanthimos. Elle interprète, de façon magistrale, trois personnages : Rita, Liz et Emily.

Jesse Plemons, dont c’est la première collaboration avec Lanthimos, passe avec le même aplomb / la même folie d’une histoire à l’autre. Dans le rôle de Robert, Daniel et Andrew. Sera-t-il retenu pour le Prix d’interprétation masculine qu’il mérite amplement ?

Willem Dafoe est excellent dans l’épisode 1. Hong Chau, dérangée et cruelle comme une guru dans l’épisode 3. Margaret Qualley et Mamoudou Athie jouent avec consistance.

Tous les personnages restent crédibles jusque dans leur outrance, comme le mari qui réclame au déjeuner un doigt de sa femme.

Commentaire de la co-scénariste Efthimis Filippou sur la façon de peindre les mœurs d’une époque et sa façon de travailler avec Lanthimos : « Nous nous préoccupons avant tout d’observer les gens, leurs comportements, leurs vêtements, leurs réactions pour créer une histoire qui soit connectée à quelque chose de tangible et de relativement crédible. Au fil des ans, notre processus de travail n’a pas changé : des allers-retours de versions, une confiance mutuelle, des désaccords, puis à nouveau une confiance mutuelle. »

Kinds of Kindness, tourné à la Nouvelle-Orléans mais ne laissant rien paraître de la Nouvelle-Orléans qu’on connaît ou que l’on s’imagine, situe ses trois histoires en des lieux anonymes mais non sans intérêt dramatique, voire allégorique.