Strasbourg : le directeur du DFI pénètre dans l’impasse franco-allemande !

Alain Howiller revient sur la conférence du Professeur Frank Baasner (DFI) organisée par la « Société des Amis des Universités de l’Académie de Strasbourg ».

Le Professeur Frank Baasner du DFI a analysé les difficultés européennes à se relancer. Foto: Eurojournalist(e)

(Par Alain Howiller) – Je n’ai pas pu m’empêcher l’autre jour, dans l’amphithéâtre Jean Cavaillès du campus de l’Esplanade à Strasbourg, de penser à ce slogan que la SNCF place sur les passages piétons des voies de chemin de fer : « Attention, un train peut en cacher un autre !… » Ce slogan convenait bien à la conférence que le Prof. Dr. Frank Baasner, directeur de l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg (DFI) venait faire à l’invitation de la « Société des Amis des Universités de l’Académie de Strasbourg ». Le titre de la conférence était : « L’Europe sous le doute : que rôle pour le partenariat franco-allemand ? » Si le conférencier, dans le sillage de l’élection de l’imprévu (mais prévisible !) Donald Trump, a beaucoup parlé des doutes, il a laissé son auditoire (trop peu fourni, hélas) sur sa faim quant au rôle du « partenariat franco-allemand ».

Partant du résultat de l’élection présidentielle américaine, Frank Baasner a préféré donner une sorte de cours sur la géopolitique américano-européenne, esquissant le rôle du couple franco-allemand dans une dernière partie bien courte !… Décidément une « conférence peut -comme les trains (!)- en cacher une autre ! »

Le « grand désarroi » des « pro-européens » ! – Il n’a pas manqué d’évoquer « le grand désarroi de ceux qui ont des convictions européennes et qui voient l’émergence des eurosceptiques qui trouvent facilement l’accès aux médias alors qu’eux-mêmes peinent à se faire entendre. » Pourtant, l’Europe a atteint les objectifs constitutifs du rêve européen : la liberté, la paix, le bien-être. Au point qu’il lui manque peut-être ces points d’appui sur lesquels s’appuyer pour rebondir. La crise de la démocratie représentative qui s’impose partout n’arrange rien, ni le divorce avec les « élites » (médias inclus), ni le sentiment de frustration né de la mondialisation, ni les incompréhensions nées d’un langage qui tend à ne plus être compris par la masse des gens, encore moins le sentiment que « personne ne contrôle plus rien ».

Ce « cocktail » produit des « Trumps » et pas seulement aux … Etats Unis d’Amérique ! Jusqu’à aujourd’hui, ces derniers se sont sentis investis de missions (contestées comme la récente campagne électorale l’a soulignée) : exporter la démocratie et les valeurs US à travers le monde, protéger l’Occident, promouvoir le libre-échange et le libéralisme.

D’où ces questions que se pose le conférencier : « Si les USA refusent le libre échange qui était leur credo, que fera l’Europe ? Si les USA ne veulent plus porter le poids de la défense de l’Europe, que fera cette dernière ? » Quelle réponse apportera l’Union Européenne aux défis posés par le divorce avec les élites, par les incompréhensions nées d’un langage abscons ? Au passage, Frank Baasner se demande si le succès d’un Macron n’est pas davantage lié à la langue -facilement accessible- qu’aux nouveautés qu’il apporte !

Un couple franco-allemand qui peine ! – C’est dans ce contexte décisif pour l’avenir que devrait s’inscrire l’action d’un couple franco-allemand qui peine à agir de concert. Un exemple récent illustre ce constat : Angela Merkel et François Hollande ont réagi, sans se concerter, chacun de leur côté à l’élection de Donald Trump. Il fut un temps où une telle réaction aurait suscité des consultations puis une prise de position commune. Les deux dirigeants sont englués dans leurs problèmes : une économie fragilisée, des sondages difficiles, des perspectives électorales pleines de doutes, côté français. Côté allemand, une campagne pour un quatrième mandat à gérer pour la chancelière, des tensions au sein de la coalition au pouvoir à arbitrer, une situation délicate à encadrer née de l’arrivée des migrants. Autant de problèmes qui tendent à peser sur une vision commune de l’Europe, voire sur une relance du projet européen : une relance d’autant plus nécessaire qu’il faudra faire face à l’arrivée au pouvoir du nouveau président américain !

Certes la France et l’Allemagne -ou plutôt les services ou les ministères- ont une pratique quasi-quotidienne des contacts pour régler des problèmes pratiques, mais ça « coince » apparemment au sommet. Merkel et Hollande n’ont jamais trouvé cette nécessaire intimité qui permet des convergences heureuses : à part en partie l’approche du dossier ukrainien, il leur a toujours manqué une vision commune susceptible de nourrir-au-delà des réflexions- une action commune qui s’ancre dans des réalisations de terrain. « Hollande a voulu, à plusieurs reprises, inviter Merkel pour un tête à tête susceptible de créer une communauté de réflexion et d’action. La chancelière n’a jamais voulu de ce type de rencontre : c’est entourée de ses conseillers qu’elle elle a toujours rencontré le président français. C’est ce que me soulignait l’un des proches de François Hollande », raconte Frank Baasner dans une de ses (trop) rares confidences de proche des dossiers franco-allemands.(X)

Une relance bien aléatoire ! – S’il paraît très aléatoire de compter sur une relance par les deux principaux partenaires de l’Union Européenne, comment voir l’avenir ? Si on peut toujours espérer des initiatives lors du sommet des chefs d’état et de gouvernement prévu le mois prochain, on peut continuer à cultiver l’espoir en s’appuyant sur des pistes qui semblent s’imposer pour sortir de l’impasse actuelle ? Des progrès sont attendus dans le domaine de la défense : pas dans celui d’une armée européenne, mais dans le rapprochement des budgets, dans des fabrications mieux coordonnées voire communes, dans des accords parfois des fusions d’entreprises.

« Il faudra sans doute », insiste le conférencier, « faire plus de politique et moins d’économie, mieux parler du franco-allemand à des publics différents en utilisant une communication adaptée, nourrir une vraie réflexion commune entre les deux gouvernements, les deux pays qui ont des traditions différentes. En Allemagne, économie et politique sont séparées, en France on veut pousser l’économie avec et par (entreprises de service public) le politique. « Mais rien ne peut actuellement présager quelle sera la part du franco-allemand dans une relance de l’Union, si tant est que les partenaires du Traité de l’Elysée s’investiront dans cette relance » – n’est-il pas révélateur que le conférencier n’ait pas évoqué les implications de ce Traité pour les placer au cœur de la relance espérée ?

Mais les semaines, les mois à venir, vont être difficiles : l’Allemagne et la France ont souvent, dans le passé, trouvé des compromis qui acceptés par leurs partenaires européens ont fait avancer les choses, mais les deux auront une transition politique à assumer dès 2017 : en Allemagne, la coalition souffrira peut-être et en France, il faudra, sans doute, gérer une alternance.

En France, des primaires qui interpellent ! – Alors que le rêve européen s’est effiloché, l’Union aura à faire face à ce qui vient de se passer aux Etats Unis d’Amérique : saura-t-elle se ressaisir et saura-t-elle retrouver en elle, les ressources nécessaires à un nouveau départ ? Tout en s’affirmant « optimiste », Frank Baasner se garde bien de donner une réponse : il compte sur les liens qui se sont noués au niveau des citoyens (jumelages, échanges multiples, voyages scolaires) pour éviter une dislocation. Espérons que le directeur du DFI pourra bientôt revenir traiter du sujet que tout le monde attendait.

En sachant qu’en France, le résultat des primaires à droite a placé en tête un candidat « crypto-souverainiste », ancien disciple réaffirmé de Philippe Séguin véhément opposant au projet de constitution européenne et qu’en Allemagne, Angela Merkel a décidé de solliciter un quatrième mandat à la chancellerie ! L’Europe, sans doute, ce n’est pas tout à fait pour… maintenant !

(X) Voir notamment : « François et Angela » par Nicolas Barotte (Grasset Editeur – septembre 2015), 270 pages, 19 euros.

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