Strasbourg : une institution européenne (presque) oubliée

Alain Howiller sur la plus ancienne institution européenne qui a son siège, comment pourrait-t-il en autrement, à Strasbourg…

Le siège de la CCNR à Strasbourg - un lieu de travail chargé d'Histoire... Foto: Thomon / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Alain Howiller) – Elle manque de notoriété, elle existe pourtant depuis plus de deux siècles et peut s’enorgueillir d’être la plus ancienne institution internationale d’Europe ! Elle fleure bon l’histoire dont elle illustre à merveille -oh combien !- les aléas. Sur le berceau de cette institution, se sont penchés, lors du fameux Congrès de Vienne de 1815, ceux qui, après Waterloo, finiront par mettre, non sans mal, un terme à la France impériale de Napoléon Premier !

Et la première rencontre qui concrétisera cette création issue de la capitale autrichienne, portera les signatures des représentants de la France, du Grand-Duché de Bade, du Royaume de Bavière, du Grand-Duché de Hesse, du Duché de Nassau, du Royaume de Prusse et du Royaume des Pays Bas ! Leurs lointains successeurs sont, aujourd’hui, la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse. L’institution dont il s’agit, porte un nom qui évoque, sans ambiguïté, la tradition transfrontalière autour de l’axe rhénan : elle s’appelle « Commission Centrale pour la Navigation sur le Rhin – CCNR » (« Zentralkommission für die Rheinschifffahrt – ZKR »).

Cent ans de présence à Strasbourg ! – Après avoir siégé à Mayence et à Mannheim, elle a trouvé son siège à Strasbourg où, souvent ignorée, elle contribue depuis un siècle (!) à conforter la vocation européenne de la ville. Les contraintes nées de la crise sanitaire n’ont pas permis à la CCNR de tenir ses deux réunions plénières annuelles à Strasbourg ni de fêter, comme il aurait fallu, les cent ans de sa présence strasbourgeoise. C’est au lendemain de la Première Guerre Mondiale qu’il avait été décidé qu’elle siègerait désormais dans la capitale alsacienne. « Après que plusieurs de nos réunions de comités et de groupes de travail aient dû être annulées au début du confinement, nous avons pu reprendre, grâce aux solutions techniques actuelles et à la bonne volonté de tous, le cours de nos réunions avec succès de manière virtuelle, y compris sur la scène européenne, dans l’attente de pouvoir renouer avec nos réunions habituelles à Strasbourg », devait souligner(1), à ce propos, Bruno Georges, secrétaire général de la CCNR depuis 2016, après avoir suivi une carrière diplomatique au service du Royaume de Belgique.

Une nomination qui souligne une originalité : bien que le Rhin ne traverse pas la Belgique, cette dernière est devenue membre de la Commission et contribue à son budget. La flotte belge n’est-elle pas, derrière les Pays-Bas et l’Allemagne, la troisième en ce qui concerne les tonnages transportés sur le Rhin ? Ces derniers dépassent les 300 millions de tonnes de marchandises par an. Un trafic, enrichi (hors restrictions nées de la crise de la Covid) depuis des années par une augmentation spectaculaire du tourisme fluvial et par l’augmentation de la production des barrages hydro-électriques, dont la CCNR assure la surveillance, la promotion et le libre développement sans entrave politique ou technique. Car dès le Congrès de Vienne, il avait été entendu que la navigation sur le Rhin serait libre malgré les vicissitudes de l’histoire.

Avec les Américains et les Britanniques ! – Celles-ci, à l’instar du passé des riverains de l’axe rhénan, furent nombreuses : à deux reprises, après 1870 et 1940, la Commission est de fait mise en sommeil : la France privée de son caractère de riverain du Rhin par la perte de l’Alsace, doit s’éclipser de l’institution avant d’y revenir après la Première puis la Deuxième Guerre Mondiale. Les travaux de la CCNR reprendront le 20 Novembre 1945 dans une configuration née du conflit : les Etats-Unis d’Amérique et la Grande Bretagne y retrouvent la France, la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse. La République Fédérale d’Allemagne les rejoindra en 1950 alors qu’en toute logique… géographique, les Etats-Unis (en 1961) et la Grande Bretagne (en 1993) s’en retireront !

A Strasbourg, la Commission loge (petit clin d’œil à l’Histoire) au Palais du Rhin, Place de la République : elle partage ce qu’on appelait le « Kaiserpalast » (Palais de l’Empereur) que son « géniteur » Guillaume Ier de Hohenzollern désignait comme son « Elefanten-Zwinger » (« cage à éléphants »), avec la Direction Régionale des Affaires Culturelles.

Un bâtiment de prestige au cœur de la ville. – « Nous nous réjouissons chaque jour de pouvoir occuper pour nos travaux, ce bâtiment de prestige au cœur d’une ville à la tradition fluviale forte et située au centre de l’Europe. » La Commission y emploie une vingtaine de personnes, dont le secrétaire général, son adjoint et un ingénieur, employés par une organisation internationale reconnue, jouissent de l’immunité diplomatique. Et c’est au titre d’organisation internationale que la CCNR a pu conclure des accords avec le Conseil de l’Europe (sur le statut du personnel) et avec la Commission Européenne (autour de la régulation du trafic fluvial).

Malgré un budget relativement modeste (autour de 3 millions d’euros) financé par les états-membres, la « Commission Centrale pour la Navigation sur le Rhin » assure des missions diverses s’inscrivant dans sa vocation au service de la navigation rhénane. Elle suit le respect de la liberté de navigation, contribue à la promotion de la navigation rhénane, fait des observations sur les travaux réalisés sur le fleuve, conseille les gouvernements, sert de juridiction d’appel aux litiges concernant la navigation et les conflits entre usagers, traduit des documents de toutes sortes, organise des colloques, collecte des données et réalise une sorte d’observatoire du marché et de la conjoncture. Bref, après un peu plus de 200 ans d’existence dont un siècle passé à Strasbourg, la Commission « assure la continuité de la navigation rhénane et européenne en ces temps particulièrement chahutés et réfléchit déjà à l’après crise ! », conclut Bruno Georges. Le tout à Strasbourg, capitale européenne !

(1) Dans l’Ami Hebdo du 3 janvier 2021.

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