Rojava : tout bon pour Poutine

Les Pieds Nickelés tiercé gagnant, sur le dos des Kurdes

Les toits de Damas Foto: Antonio Milena/ABr/Wikimédia Commons/CC-BY-SA PD

(Marc Chaudeur) – L’UE n’a rien fait pour intervenir et jouer le rôle de conciliateur entre Turquie et Syrie, alors même qu’elle aurait pu, et dû, imposer son rôle de médiatrice depuis au moins un an, et essayer d’empêcher ce qui était hautement prévisible. La Russie, en tout cas, est gagnante, et avec elle, ses deux compères.

Le Tsar Poutine s’affirme et se réaffirme comme le grand allié de Bachar al Assad, et s’impose comme l’interlocuteur indispensable dans toutes les négociations importantes : la place de la Russie dans la région doit être solidifiée et assurée durablement.Pour ce qui est des Kurdes, les émissaires russes ont réaffirmé en septembre dernier (ils l’ont dit plusieurs fois depuis 2013) qu’une autonomie était possible (ce qui est potentiellement vrai aussi pour d’autres minorités à l’intérieur des frontières syriennes), mais si et seulement si on reconnaît l’autorité de Bachar al Assad… Ce qui revient de fait à reconnaître le rôle fondamental et indispensable de Moscou.

En ce sens, les fameux 70 à 90 000 prisonniers DAESH représentent une carte considérable pour ceux qui seront censés les garder à l’avenir, à savoir… Assad et l’armée russe : plutôt atout que mistigri, puisque le rôle de garde-chiourme qui leur est dévolu devient un moyen de pression intéressant à l’égard des Occidentaux – et surtout des Européens, qui ne tiennent pas à voir des masses de barbares sanglants débarquer chez eux, même lorsqu’ils sont en partie des « nationaux », le produit de leur culture déclinante et discriminante.

Ce que souhaitent depuis longtemps les Russes est en train de se réaliser : grâce à l’invasion turque, les Kurdes se jettent, certes mollement et en se bouchant le nez, dans les bras d’Assad. Moscou discute en effet depuis plus de 2 ans, avec Assad et l’Iran, d’un projet de Constitution depuis 2 ans (dans le cadre du soi-disant Processus d’Astana). Ce projet prévoit une large autonomie des Kurdes, mais… sous l’égide du gouvernement Syrien d’Assad. Cela posé, l’invasion turque permet de surcroît aux Russes de se rapprocher de la Turquie, et d’assurer plus solidement leur rôle de médiateurs en Syrie. Au détriment de l’Union Européenne, tragiquement absente et inactive, le nez rivé sur le handlebar du Brexit.

Et il ne faut pas s’y tromper : les Russes et les Turcs, bien qu’ils jouent la confrontation, sont en discussion permanente et étroite. Plus encore, les Russes jouent bien évidemment le rôle de pivot dans une négociation quadripartite : des tractations ont eu lieu (et auront lieu…) entre le gouvernement Assad et les Kurdes sur la base russe de Hmeimim, à Latakié, la région natale d’Assad, Poutine est indispensable pour les 3 parties, en somme.

Le général en chef syrien pour cette campagne vers le Nord est d’ailleurs Souhail al Hassan, un grand ami des Russes. En 2015, Poutine lui a fait décerner l’ordre de l’Amitié entre les peuples, et deux ans plus tard, le chef d’état-major Gerassimoff lui a offert solennellement un sabre. A cette occasion, Al Hassan a béni « tous les pays russes du Sud au Pole Nord »…

Que veut Poutine, au juste ? C’est assez limpide : Bachar al Assad sait bien que sans Poutine, il ne pourra pas contenir la puissante armée turque. Il a donc besoin des Russes. Et Poutine veut essentiellement 2 choses : asseoir tous les deux, Assad et Erdogan, à la table des négociations, et gagner le plus de terrain possible pour son vieil allié Assad.

Les choses sont conclues d’avance. C’est en ce sens qu’Erdogan a assuré récemment : « Il n’y aura pas de problème à Kobane ». Cela traduit une entente préalable, qui ne sera pas rompue. Poutine accepte bien évidemment les conditions posées par le dirigeant d’Ankara pour ce qui est de la sécurité nationale de l’Etat  turc. Il prend pour base les Accords d’Adana de 1998 entre la Syrie et la Turquie, qui stipulaient que le PKK ne devait pas recevoir d’aide de la Syrie. Ces Accords ont d’ailleurs autorisé et légitimé, aux yeux du dirigeant turc, l’invasion actuelle…

Et Poutine apparaît une fois de plus comme l’ interlocuteur fiable – au contraire des Etats-Unis, qui ont commis une véritable forfaiture, et de l’Union Européenne, le visage plongé dans la vase de la Tamise.

Erdogan est plutôt tranquille ; il ne risque nullement un embargo des armes russes. D’ailleurs, voici à peine quelques mois, Poutine a livré a la Turquie un système anti-aérien S-400. L’installation d’une zone d’exclusion aérienne, comme le demandent les Kurdes, ne serait au fond pas plus gênante pour la Turquie : elle pourrait fort bien attaquer le Rojava kurde à partir de son propre espace aérien.

« Les droits des minorités doivent être assurés », dit Poutine. Mais cela supposerait que les Kurdes disposent d’une monnaie d’échange, dans ce contexte d’un pouvoir dictatorial extrême. En ont-ils une ? Non, ils n’en ont pas.

C’est tout bon pour le Tsar Vladimir et pour ses deux complices.

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