Taj Mahal – quand le cinéma rejoint le reportage

Ancien journaliste de cinéma, Nicolas Saada signe son second long métrage de fiction dans lequel il nous entraine au cœur de l’attaque terroriste qui a frappé l’Inde en 2008 quand l’hôtel du Taj Mahal fut assiégé et de nombreuses personnes assassinées.

Nicolas Saada a réalisé "Taj Mahal" suite aux attentats sur ce lieu mythique en 2008. Remarquable. Foto: Bac Films

(Nicolas Colle) – Dans «Taj Mahal», hors de question de se pencher sur la violence et la barbarie du monde mais au contraire, de se focaliser davantage sur le parcours humain d’une jeune fille qui tente de survivre à cette atrocité. Notre expert cinéma Nicolas Colle a rencontré le réalisateur Nicolas Saada.

Ce qui m’a touché dans ce film, c’est qu’il s’agit avant tout d’un beau portrait de femme qui se cherche et qui se retrouve complètement transformée par une expérience traumatisante qu’elle doit affronter seule… Vous l’avez abordé ainsi ?

Nicolas Saada : En effet, ce film est inspiré d’une expérience qu’a pu traverser une jeune femme qui ne m’a pas seulement relaté les circonstances de cette épreuve mais aussi le moment de sa vie où elle l’a vécue. Elle m’a dit que c’était une période où elle sortait difficilement de son adolescence. Elle avait beaucoup de craintes, se demandait ce qu’elle allait pouvoir faire de sa vie puis ce drame a bouleversé toute cette innocence et pour moi, c’était assez symbolique d’une jeunesse qui cherche à comprendre où elle va avant d’y aller. Pour moi, c’est quelqu’un qui rencontre d’abord son inquiétude propre à toute adolescente de son âge et puis enfin, au cours de cette nuit dramatique, des inquiétudes et des questions inouïes pour son âge, à savoir si elle va vivre ou mourir. J’ai été bouleversé par ce parcours d’une fille très jeune face à quelque chose de très grand et qui la plonge dans des angoisses métaphysiques qui ne sont pas de son âge. J’aime filmer les femmes, c’est un enjeu majeur de cinéma et de société.

On ne peut pas parler de Stacy… C’est une très belle révélation… Que pouvez-vous me dire sur elle ?

NSa : Cette fille a été un vrai cadeau pour moi, et une rencontre inoubliable. Elle ne me parlait pas du rôle de manière égocentrique. Elle pensait surtout au film et à le rendre crédible. Elle a la spontanéité et la nature des actrices françaises tout en ayant une grande capacité de travail propre aux actrices anglaises et américaines. J’ai eu une collaboration très étroite avec elle. Bien plus qu’un rapport basique entre une actrice et son réalisateur. Elle me parlait d’effets sonores, d’image, de lumière, de sensation, d’impression, on avait un projet formel commun. Et puis je suis fou de son visage… Selon moi, un gros plan sur le visage de Stacy vaut vingt-cinq plans avec effets spéciaux tant son visage raconte de choses.

Pouvez-vous me parler un peu du tournage… j’imagine que vous n’avez pas tourné les scènes de l’attaque au Taj Mahal même ?

NSa : On a tourné quelques plans en Inde dont certains près de l’hôtel, en revanche toute l’attaque a été filmée en studio. Les sons quant à eux avaient été enregistrés dans un hôtel désaffecté près de Bombay. Puis on a mis ces sons dans une oreillette pour que Stacy puisse être complètement immergée dans cette attaque. Pour les scènes où elle parle avec son père au téléphone, c’était intéressant car elle a d’abord écouté le comédien, Louis Do Lencquesaing, qu’on avait enregistré, puis sur le plateau, elle jouait avec une personne qui s’était isolée un peu plus loin dans le studio. C’est de cette façon que Spike Jonze, que j’ai la chance de connaître, avait procédé sur son dernier film, «Her».

Avec ce film, vous donnez également une voix aux victimes du terrorisme et notamment à ceux qui en ont réchappé ?

NSa : Il faut que les survivants laissent des traces et il faut rendre compte de leur expérience au monde car l’histoire et notre mémoire se sont construits sur les témoignages de ceux qui ont échappés à des catastrophes. Toute expérience de ce type est riche d’enseignement et nous fait réfléchir sur notre façon de parler aux autres, à aimer ou à éduquer nos enfants. On le voit en ce moment, on est dans des grands discours et des débats idéologiques sur l’état du monde et les victimes sont un peu mis de côté, or il faut leur donner une voix et le film est né de là. J’ai voulu le rendre comme une expérience de cinéma avec tout ce que j’aime dans cet art. J’ai mis à profit tous les outils stylistiques à ma disposition pour offrir au spectateur un spectacle intimiste total, à travers une expérience sensorielle et visuelle. Pour moi, le cinéma est un outil qui permet de parler avec les gens et de leur faire partager une expérience, une histoire qu’ils ne traverseront peut être jamais.

Le film a une couleur assez particulière… Comment avez-vous abordé l’esthétique ?

NSa : Je me suis constamment demandé à quoi pouvait bien me ramener cette histoire. J’ai pensé naturellement au conte et à ses thèmes universels, ainsi qu’au film de terreur. Donc je voulais être très cru pour le prologue afin de m’inscrire dans un certain réalisme et une vérité, mais quand l’attaque survient, alors le réel est complètement déformé. On est dans une déréalisation absolue, proche du conte ou du film d’horreur, du gothique. J’ai traité la nuit avec les ténèbres, on a enlevé la couleur et on a presque filmé en noir et blanc et la couleur revient progressivement à mesure que la nuit avance.

On ne voit jamais d’images de l’attaque des terroristes sauf à la fin quand le personnage joué par Stacy découvre à la télévision ce à quoi elle a échappé ?

NSa : Les images d’archives sont authentiques car elles permettent au personnage de découvrir l’ampleur de ce à quoi elle a échappé. Du coup, l’événement fictionné prend vraiment du sens. Et puis je voulais rendre le film aux Indiens car ce que traverse Louise est un drame personnel mais au milieu du chagrin de beaucoup d’autres. Je voulais que les Indiens puissent se réapproprier le film car il y a d’autres gens qui ont traversé parfois pire que ce que Louise a pu endurer au cours de cette nuit tragique.

Pour visionner la bande annonce de «Taj Mahal», CLIQUEZ ICI.

Taj Mahal Affiche Bac Films

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