The Power of the Dog, intimités au Montana par Jane Campion

Notre experte « cinéma », Esther Heboyan, présente un film à recommander sans modération. Les fêtes seront une excellente occasion pour le visionner...

La réalisatrice Jane Campion en interview à Cannes. Foto: Blythekombucha / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Esther Heboyan) – Avec The Power of the Dog (Le pouvoir du chien), diffusé récemment sur Netflix, le cinéma de la Néo-Zélandaise Jane Campion reste d’une grande intensité. Intensité visuelle, sonore, psychologique et narrative, comme dans La leçon de piano (Palme d’or au Festival de Cannes 1993). Filmée en Nouvelle-Zélande, l’action se déroule en 1920 au Montana dans de grands espaces dignes des westerns hollywoodiens de John Ford ou d’Anthony Mann. Des tableaux qui évoquent un quotidien entre « la Frontière Sauvage » (« the Wild Frontier ») et la civilisation moderne (véhicules, dîners mondains). En écho à l’extrême rugosité et à la violence latente de La ballade de Buster Scruggs des frères Coen.

Le Britannique Jonny Greenwood, du groupe rock Radiohead, qui avait déjà signé la musique grinçante, éreintante de Phantom Thread de Paul Thomas Anderson, crée ici une atmosphère mettant les nerfs à vif. Des phrases musicales qui écrivent la terreur psychologique, l’incertain aboutissement. La vie est là, avec ses routines, ses infimes détails. Les hommes vaquent à leurs tâches d’hommes, des cowboys rustres pour la plupart, avec à leur tête Phil Burbank (Benedict Cumberbatch) dont la férocité et l’intelligence contrastent avec la bienveillance et la candeur de son frère cadet George Burbank (Jesse Plemons). Une femme veuve, Rose Gordon (Kirsten Dunst), mère de Peter (Kodi Smit-McPhee), tient une auberge où passent ces hommes. Sa vie s’en trouvera transformée, pour le meilleur et le pire.

Tout au long du récit, on devine des bifurcations possibles. L’emprise du cowboy Phil sur sa belle-sœur Rose rappelle la cruauté qu’exerce Stanley Kowalski sur Blanche Dubois dans Un tramway nommé Désir d’Elia Kazan. Or, la déchéance de Rose n’est pas celle qu’on prévoyait. Sur une autre trame, la virilité masculine à son paroxysme semble constamment menacer le fils hypersensible de Rose, dont l’apparence efféminée lui vaut des sobriquets tels que « faggot », « sissy », « Miss Nancy ». Par endroits, on n’est pas loin de l’univers de Le secret de Brokeback Mountain d’Ang Lee. Mais Phil se révèle bien plus stratège que fragile. Rien n’arrive de ce qui aurait pu arriver.

En fait, en permanence, quelque chose demande à surgir. Quelque chose surgit furtivement comme Phil jouant du banjo pour narguer Rose qui s’exerce au piano ou castrant un taureau à mains nues, comme Peter rebroussant chemin fièrement au milieu des hommes qui le harcèlent ou reconnaissant les contours d’un chien sur les flancs symboliques d’une montagne. Quelque chose demande à être conjuré.

Dans un style bien à elle qui exacerbe l’attente du spectateur par une accumulation d’indices, Jane Campion nous conte des histoires d’hommes et de femmes qui réussissent ou échouent à être eux-mêmes. Cela se passe dans le Montana car le long-métrage est adapté du roman américain Le pouvoir du chien (1967) de Thomas Savage. Mais le récit aurait pu se passer ailleurs. Campion, certes, aime filmer, voire sacraliser la prégnance de la nature, les paysages grandioses, les troupeaux en cavalcade, les chevaux. Elle s’est aussi appliquée à reconstituer la vie dans un ranch de l’Ouest américain et à restituer des aspects de la petite ville de province. Mais la réalisatrice est avant tout une peintre de l’âme humaine, de ses blessures, énigmes, bassesses, résistances, élévations. La quête ou la survie de soi ainsi que la quête d’autrui qui peut se révéler tortueuse nous ramènent à l’inextricable relation entre le poète John Keats et Fanny Brawne dans Bright Star.

Le titre du film, qui fait référence au Psaume 22 : 20 (Et toi, Éternel, ne t’éloigne pas! Toi qui es ma force, viens en hâte à mon secours ! Protège mon âme contre le glaive, Ma vie contre le pouvoir des chiens ! Sauve-moi de la gueule du lion, Délivre-moi des cornes du buffle!), est un avertissement contre l’ennemi visible et invisible. Le pouvoir du chien est une malfaisance qui se tapit dans le soi intime ou bien dans le réel autour de soi. Malgré cette référence religieuse, le film de Campion opte pour l’ambivalence, ne dessine pas de ligne franche entre le bien et le mal. Campion ne donne pas dans le dénouement moralisateur.

Va-t-on encore se lamenter que le film ne soit projeté que sur Netflix et pas sur grand écran ? Le pouvoir du chien sera-t-il sélectionné au Festival de Cannes 2022 ? À lire le parcours de Jane Campion, on apprend que la télévision a été plus à son écoute que les producteurs de cinéma. Présentée à la Mostra de Venise en septembre 2021, l’œuvre a été récompensée du Lion d’argent dans la catégorie « meilleure réalisation ».

La critique a salué l’interprétation du Britannique Benedict Cumberbatch qui, effectivement, livre un jeu d’acteur remarquable, même s’il ne réussit pas tout à fait à rendre l’accent nord-américain. Peut-être que son personnage, diplômé d’une prestigieuse université de la Côte Est, n’a pas besoin de sonner comme un rancher de l’Ouest sauvage. Kirsten Dunst compose un jeu nuancé, mais son personnage devient vite redondant. Il en va de même pour Jesse Plemons. C’est l’Australien Kodi Smit-McPhee, 25 ans, déjà une longue carrière derrière lui, qui se révèle prodigieux. Sa performance vaut la peine qu’on revoie le film une seconde fois.

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