Tribune libre : Est-ce la fin du protestantisme à Mulhouse ?

Dans cette tribune libre, Évelyne Kessler, Matthieu Stahl, Patricia Vest et Michel Wiederkehr se battent pour la survie de l’Association Saint-Étienne Réunion, acteur incontournable de la culture et du protestantisme à Mulhouse.

Des nuages sombres s'amassent au-dessus du Temple Saint-Etienne à Mulhouse... Foto: 1-PaulT (Gunther Tschuch) / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Évelyne Kessler, Matthieu Stahl, Patricia Vest, Michel Wiederkehr) – 1523 peut être considérée comme le point de départ de la Réforme à Mulhouse. En 2022, quasiment cinq siècles plus tard, la ville verra-t-elle la disparition de l’espace public de cette confession qui en a été l’un des moteurs principaux ?

On le sait peu, le plus haut et important édifice religieux mulhousien est, cas unique en France, un temple protestant, de surcroît le plus haut de France. Ce lieu remarquable est habillé par des vitraux parmi les plus anciens d’Alsace, un ensemble unique et fascinant remontant au XIVème siècle, classé Monuments historique.

À Mulhouse, ce temple tient depuis plus de trente ans un rôle de centre culturel reconnu, central et incontournable. Peu de cérémonies cultuelles s’y tiennent mais c’est un cœur actif de la vie musicale, de la vie intellectuelle et artistique, largement ouvert aux préoccupations contemporaines. Un cœur ouvert sur la ville et sa place centrale. Une authentique agora accueillant aussi bien les visiteurs réguliers que les touristes de passage ou ceux qui ont besoin d’une écoute et de soutien.

L’âme et le corps vivant de ce temple sont incarnés par les 127 membres de l’association Saint-Étienne Réunion et son pasteur Roland Kauffmann, qui ont réalisé un travail au bilan impressionnant avec de nombreux partenaires culturels comme le Chant Sacré, le Collegium Musicum, le Noumatrouff, l’Orphéon, le Séchoir, la librairie Bisey, pour ne citer que les principaux.

S’y sont déroulés, presque chaque samedi après-midi, 1086 concerts réguliers et gratuits, les fameuses Heures Musicales, avec 200 spectateurs en moyenne, soit près de 217 000 spectateurs. A cela, il faut ajouter 586 concerts, allant de la musique sacrée au rock progressif en passant par la musique populaire ou encore le jazz, le gospel avec notamment Moriarty, Yaël Naïm, Bruno Cali, Jeane Manson, Cœur de Pirates, Klaus Schulze ou encore le Golden Gate Quartet. Sans compter les concerts proposés dans le cadre de festivals tels que GeNeriq ou Les mains nues. Soit près de 175 000 spectateurs cumulés. Saint-Étienne Réunion a aussi organisé 116 chants participatifs de l’Avent réunissant à chaque fois autour de 400 personnes, soit près de 46 000 participants. Ce ne sont pas moins de 94 expositions qui ont été proposées aux Mulhousiens dont celles de Vortex, Marc 16, 1-8, Cheni, Les Mains nues qui ont durablement marqué les esprits. Enfin, ces dix dernières années, 32 conférences ont été organisées dont celles de Stéphane Hessel, Michel Serres, Hélène Mouchard-Zay, fille de Jean Zay. Certaines à guichets fermés, soit plus de 700 personnes comme lors du Festival sans Nom, festival du polar de Mulhouse. Par ailleurs, l’association Saint-Étienne Réunion et ses bénévoles ont assuré 4 440 jours d’ouverture du temple pour les visites soit l’équivalent de 31 480 heures d’accueil touristique. Ils ont ainsi permis l’accès au patrimoine exceptionnel des vitraux à plus de 390 000 visiteurs.

Bref, Saint-Étienne Réunion est un acteur culturel de tout premier plan, faisant brillamment vibrer ce lieu emblématique de la ville que ce soit sur les plans artistique, historique, patrimonial ou intellectuel. Mais une telle réussite, un tel investissement peuvent-ils résister à la jalousie, à la haine à peine déguisée, à la calomnie et à la mesquinerie ?

On est en droit de se poser la question : en septembre 2021, le Conseil presbytéral de Mulhouse, premier niveau local des institutions religieuses protestantes, a décidé à une courte majorité et pour d’obscurs motifs internes de ne plus permettre à l’association Saint-Étienne Réunion d’exercer son activité au temple Saint-Étienne.

Les raisons de cette décision sont totalement incompréhensibles et relèvent d’une animosité profonde du pasteur Michel Cordier, détracteur revendiqué de l’architecture du temple Saint-Étienne -paroisse dont il a pourtant la charge- envers le pasteur Roland Kauffmann assurant l’animation culturelle de cette dernière. La « mésentente » entre les deux hommes d’Église couve depuis plusieurs années et les autorités régionales cherchent à y remédier depuis longtemps, sans grand succès.

Cette décision du Conseil presbytéral est un coup d’arrêt aux activités culturelles de l’association dans le temple. Aucune alternative n’est envisagée. Aucun projet, si ce n’est un hypothétique retour des cultes réservés au dernier carré des fidèles.

Le pasteur Kauffmann, avec le président de Saint-Étienne Réunion, Vincent Frieh, se sont battus pour obtenir la rénovation intérieure du temple par la ville. Chantier long et important, interrompu par la pandémie, le temple devrait rouvrir à l’issue des travaux au cours du printemps 2022.

Quelle ironie ! Quelle tristesse ! Le temple Saint-Étienne sera bien rénové et confortable, mais demeurera-t-il désormais vidé de son sens, figé, fermé ? Il est à craindre, qu’à l’image de bien des édifices protestants de la ville, les portes en seront closes et verrouillées et qu’il ne sera plus que réservé aux quelques derniers adeptes d’une religion qui aura fini par disparaître de la réalité de son temps. Les derniers protestants mulhousiens n’auraient-ils donc pour unique projet que d’être recroquevillés sur eux-mêmes, refusant par conservatisme ou rigidité dogmatique d’accueillir le monde dans sa fougue, sa complexité et ses travers, confits dans leur certitude aigrie de compter parmi les derniers sages ? C’est un naufrage. Un naufrage tragique qui solde 499 ans après son adoption, la vision d’un protestantisme marqué par l’humanisme et le plein investissement dans la vie de la cité.

Nous refusons que Mulhouse connaisse ce fatal déclin, cette crise cardiaque culturelle et spirituelle. Nous protestons avec vigueur en lançant une pétition de soutien aux membres de Saint-Étienne Réunion à son conseil d’administration, à son président et à son pasteur, adressée tant aux autorités municipales que religieuses. En deux semaines, nous avons déjà reçu le soutien de plus de 2600 signataires.

Le 31 janvier, le Conseil Municipal de Mulhouse a adopté une motion à la quasi-unanimité demandant instamment au conseil presbytéral de trouver, à court terme, un projet à la hauteur de celui porté par Saint-Étienne Réunion jusqu’à aujourd’hui, dans le respect des nombreux bénévoles et des publics mulhousiens.

A ce jour, nous n’avons reçu aucun retour du Conseil presbytéral ou du Consistoire. Les tours d’ivoire rendent-elles sourds ?

Signez notre pétition en ligne en CLIQUANT SUR CE LIEN !

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste