Tribune libre : Le remembrement chaotique des régions

L'ancien Conseiller Municipal Frédéric Le Jéhan (UDF-MoDem) s'exprime sur la réforme territoriale.

Le "Speaker's Corner" au Hyde Park à Londres est dédié à l'expression libre. Eurojournalist(e) aussi. Tribune de Frédéric Le Jéhan. Foto: David Hawgood / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 2.0

(Frédéric Le Jéhan) – Les péripéties comme l’instabilité d’un redécoupage majeur de la carte régionale ont rythmé l’actualité politique française des derniers mois. Elles révèlent hélas une démarche improvisée plus que réfléchie dans laquelle la «communication» devant illustrer la volonté gouvernementale de recherche d’économies et de modernisation semble prendre le pas sur la réalité.

Il n’était pourtant pas illégitime de questionner les limites administratives des régions. Depuis plusieurs décennies, des voix s’élèvent ainsi pour réclamer la réunification de la Normandie ou le rattachement de la Loire Atlantique à la Bretagne. La refonte du trop fameux «millefeuille» territorial s’avère aussi logique et attendue de longue date. Mais la précipitation dogmatique qui marque l’actuelle réforme entraîne un dévoiement.

L’illusion de la taille idéale – Le sens commun accepte facilement l’idée que, dans un pays dont la dette publique atteint des niveaux excessifs, il faille supprimer des structures administratives. De facto, de nombreux journalistes ou hommes politiques ont accrédité l’idée qu’il y avait trop de régions en France ou que celles-ci seraient fondamentalement trop petites. Ce postulat, auquel s’attache mordicus l’actuel gouvernement en s’obstinant à réduire à 13 ou 14 le nombre des régions métropolitaines, ne manque pas seulement de fondement, il finit par occulter des enjeux bien plus importants.

D’abord, le principe même de super-régions de taille dite «européenne» déterminée par un objectif chiffré de population de 4 à 7 millions d’habitants ne repose sur aucune réalité concrète, compte tenu de l’extrême diversité de la taille des régions, comme d’ailleurs des Etats qui les abritent au sein de l’UE. Une autre illusion de modernité réside aussi dans la création par ce biais de regroupements inédits. Cette quête vaine d’une grandeur ou d’une nouveauté forcée débouche sur l’absurde ; une soirée décisionnelle pleine de rebondissements à l’Élysée conduisant ainsi à inventer une très originale «super-région» Centre-Poitou-Charentes-Limousin… qui n’a finalement vécu que quelques semaines. L’incohérence apparaît plus encore lorsqu’il devient évident que des motifs de type électoraux, voire des rivalités internes du principal parti de la majorité, motivent certains découpages.

Plus de tels assemblages se veulent grands et moins ils sont identifiables, de sorte qu’on échoue à leur donner un nom autre que celui issu des points cardinaux. D’où aussi l’étonnant paradoxe qui veut que, dans la dernière carte votée en juillet par le parlement, deux des régions existantes aux identités les plus improbables et les plus contestées, que sont le Centre et les Pays de Loire, dont on peine depuis leur création à nommer les habitants, demeurent inchangées dans leur périmètre.

Un handicap pour des réformes ultérieures plus importantes – L’annonce initiale du gouvernement prévoyait aussi la suppression des Conseils Généraux, depuis renvoyée à une hypothétique réforme ultérieure, faute de majorité pour réviser la constitution. Mais cela est bien plus qu’un simple délai, car à vrai dire il sera beaucoup plus difficile, voire impossible, de fusionner les Conseils Généraux avec les Régions lorsque ces dernières auront été dissoutes dans des ensembles encore plus larges au détriment de la proximité ou de leur identité.

En réalité, la faiblesse des régions françaises découle surtout de leur faible «épaisseur budgétaire», c’est-à-dire de la forte limitation de leur compétence. Récemment, les DNA citaient l’exemple de la faiblesse des budgets régionaux français (23 juillet 2014) : 395 € par habitant contre 3000 à 5000 € d’investissements par habitant, soulignant que ce dernier chiffre était celui des régions autrichiennes. Ces régions obéissent à un découpage des plus anciens, puisqu’il s’agit, Vienne exceptée, de celui des Kronländer de l’Empire habsbourgeois (successeurs des duchés, comtés et principautés médiévaux) et disposent d’une population moyenne inférieure à 1 million d’habitants.

Surtout, les budgets locaux en France les plus importants sont ceux des communes et de leurs communautés (environ 56% de la dépense locale); viennent ensuite les conseils généraux (environ 32%) puis, seulement en troisième rang, les régions (12%). Si l’on considère la taille moyenne très faible des 36 000 communes françaises comparée à celles de nos voisins (qui n’ont généralement pas eu besoin de développer l’intercommunalité, car ils ont souvent «fusionné» leurs communes depuis plusieurs décennies), force est de constater que le gouvernement, en focalisant son attention sur le création de 13 à 14 grandes régions, a pris le problème des économies à l’envers. La question des répartitions de compétences entre collectivités n’pas suffisamment été mise au cœur des débats, alors que celle des compétences retenues par les administrations de l’Etat ou de la démultiplication des normes légales comme des autres obligations de dépense locale future demeurent assez largement occultées.

Le cas alsacien – Quant à l’Alsace, le gouvernement et le parlement s’efforcent de lui imposer de se fondre dans une grande région moins cohérente que l’actuel découpage. Que la Champagne-Ardenne rejoigne ou non finalement l’attelage, la prise en compte des traits spécifiques (langue, histoire, droit local…) sera forcément plus difficile et moins évident dans une grande région au sein de laquelle ces éléments ne seront pas partagés par la majeure partie des habitants.

Punie en quelque sorte pour avoir eu raison trop tôt, en développant de son propre chef un projet original de fusion des trois collectivités régionale et départementale, elle est désormais accusée de repli sur soi ringard à chaque tentative de réactivation du projet pour lequel ont tout de même voté une majorité des suffrages exprimés lors du référendum d’avril 2013. Le comble d’exigences légales disproportionnées pour rendre valide la consultation de l’an passé apparait lorsque les projets nationaux de redécoupages, dessinés d’en haut plus que construit d’en bas, sont voués à entrer en vigueur sans la moindre consultation des citoyens. Le paradoxe est là aussi de mise, puisque le gouvernement de Jean-Marc Ayrault disait approuver le projet de fusion projet des trois collectivités alsaciennes et que celui de son successeur pourtant de la même sensibilité politique n’en a cure.

L’Alsace aurait tort de ne pas réactiver son projet initial, qui, loin d’être né d’une Schnapsidee, trouve ses racines dans les anciennes initiatives de fusion départementale d’Henri Goetschy et de Daniel Hoeffel, correspond à une vision portée par les représentants du monde socioprofessionnel, et a précédemment réuni le soutien des trois assemblées locales comme une majorité des votes exprimés des citoyens.

Frédéric Le Jehan est ancien conseiller municipal (UDF-Modem) de Strasbourg et occupe actuellement le poste de Directeur Général adjoint de Services de la Communauté des Commues du Pays de Montbéliard. Les tribunes libres expriment le point de vue de l’auteur et pas nécessairement celui de la rédaction.

1 Kommentar zu Tribune libre : Le remembrement chaotique des régions

  1. Intéressant cet angle d’attaque d’un problème quelque peu biaisé. L’ancien conseiller municipal, de Fabienne Keller, très jeune alors, a depuis beaucoup travaillé dans le concret.

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