Turquie – les espoirs perdus de Recep Tayyip Erdoğan

José Manuel Lamarque décrypte les importants mouvements de résistance civile contre un gouvernement turc de plus en plus conservateur et autoritaire.

L'opposition en Turquie se fait de plus en plus entendre... Foto: Hilmi Hacaloglu, VOA / Wikimedia Commons / PD

(José Manuel Lamarque / Inès Tempel) – Au pouvoir depuis 2014, le président turc Recep Tayyip Erdoğan commence à voir ses rêves de grandeur impérialiste s’envoler. Celui qui, jusqu’à présent, menait impunément une politique islamiste et nationaliste de répression violente, est la cible d’un nouveau mouvement d’opposition incarné par les femmes et les universitaires. Récit d’une nouvelle respiration démocratique dans une société turque de plus en plus clivée.

Un sultan aux petits pieds – Dans cette prison à ciel ouvert qu’est la Turquie d’Erdoğan, les murs se fissurent. En pleine épidémie de Covid-19, la livre turque s’écroule, l’inflation monte en flèche et la hausse quotidienne des prix touche de plein fouet les ménages modestes. 13,9% de la population, au demeurant très jeune (les moins de 30 ans représentent 50% de la population), vivrait sous le seuil de pauvreté (Banque mondiale 2020) et le chômage fait plonger des familles dans la misère.

Un bilan catastrophique que le président turc ne veut pas voir. Se référant à son rêve de faire de son pays une théocratie nationaliste, il poursuit une folle course d’asservissement de son peuple. Il est l’homme au verbe fort, le donneur de leçons, qui insulte le président français Emmanuel Macron. Éternel provocateur, Erdoğan se croit grand ordonnateur de la politique en Méditerranée orientale, omettant de respecter le droit maritime en intimidant la Grèce et la République de Chypre.

Erdoğan a profité du coup d’État manqué du 15 juillet 2016, vrai ou faux coup d’État, pour renforcer son pouvoir dictatorial, en menant purges après purges pour tuer toute forme de contestation, d’opposition : un système à la « Ceausescu » s’inspirant autant de Nicolas que d’Elena.

Place aux jeunes – Aujourd’hui, la jeunesse turque prend la parole. Erdoğan a beau être le chantre de la privation des libertés, donc du droit de manifester, de penser aussi, les étudiants turcs, ainsi que leurs professeurs, s’opposent à sa folie destructrice. La colère gronde sur les campus, contre la mainmise du président turc sur les universités.

La célèbre université d’Istanbul Bogazici a été dotée d’un recteur, non pas élu par ses pairs, mais désigné par le président Erdoğan lui-même, car une nouvelle loi de nomination des recteurs apparaissait après le « vrai-faux » coup d’État manqué de 2016. Professeurs et étudiants manifestent tous les jours sur le campus contre le parachutage du nouveau recteur, Melih Bulu, un homme de l’AKP, on s’en doute. D’autres universités suivent ce mouvement contre, une nouvelle fois, une énième purge d’Erdoğan, cette fois dans les milieux universitaires et académiques. C’est une bonne chose de voir enfin une opposition renaître en Turquie, une bonne nouvelle que cette jeunesse née sous Erdoğan, et n’ayant connu que lui, sache dire non, avec la force non pas du désespoir, mais la volonté de vouloir enfin vivre libre dans son propre pays.

Les femmes aussi… – Les femmes turques descendent aussi dans la rue afin de manifester contre les violences conjugales et familiales. Maintenant que la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan est officiellement sortie de la Convention d’Istanbul, les violences à l’égard des femmes et la violence domestique ne feront que s’intensifier.

Elles prennent donc la rue, ne craignent pas la police comme les étudiants, et malgré l’interdiction de manifester le 8 mars dernier, Journée internationale des droits des femmes, venue du haut sommet du pouvoir, les femmes turques étaient unies dans la rue pour dire « assez ». Au sein même de l’AKP, des femmes font aussi entendre leurs voix. En presque deux décennies, 6732 femmes ont été assassinées en Turquie (chiffre officiel), mais à combien s’élèvent les assassinats de femmes turques passés sous silence ?

Et dire que les femmes turques avaient obtenu le droit de vote en 1934… Quel retournement de situation dramatique, quelle régression quand les violences faites aux femmes sont cachées, voire ignorées par le pouvoir en place aujourd’hui, car pour le président Erdoğan, une femme accomplie, est d’abord une mère. Tout est, hélas, dit. Le retrait de la Turquie de la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe, dont la secrétaire générale est la croate Marija Pejčinović Burić, a signé officiellement la dérive du pouvoir turc…

Aujourd’hui en 2021, jeunes et femmes sont l’opposition naissante d’Erdoğan. Comment dans de telles conditions tyranniques et obscurantistes, la Turquie pourrait-t-elle maintenir son siège au sein du Conseil de l’Europe, qui défend les droits de l’homme, la démocratie et l’état de droit ?

L’intégralité de la chronique originale ainsi que la conversation avec Ahmet Insel, universitaire, écrivain et journaliste turc, sont à retrouver ici !

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