Union européenne et Balkans : faire front

L'UE ne doit pas transiger sur les principes fondamentaux

Gamin de Podgorica (Monténégro) Foto: Anton Nosik/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/3.0Unp

(Marc Chaudeur) – Ancienne ambassadrice d’Allemagne en Macédoine du Nord et au Monténégro durant trois décennies, très active aujourd’hui encore dans le domaine de la protection de l’environnement dans cette région des Balkans occidentaux, Gudrun Steinacker a toujours eu un discours très direct et très franc. Notre amie insiste plus fortement encore, depuis quelques mois, sur l’impérieuse nécessité de sauver l’essentiel dans ces pays, dont certains présentent leur candidature à l’entrée de l’Union européenne. Entrer dans l’UE ? Peut-être, mais au prix de changements absolument indispensables.

Lors d’une récente intervention à la Deutsche Welle, Gudrun Steinacker insiste sur le fait qu’il faut absolument contrer toutes les tendances des institutions européennes à l’immobilisme. On connaît en effet les arguments fallacieux qui appuient cette attitude catastrophique. Catastrophique pour les 6 pays non intégrés des Balkans occidentaux eux-mêmes : car si rien ne change, la jeunesse du Monténégro, de l’Albanie, du Kosovo, de la Serbie, de la Macédoine du Nord et de la Bosnie continuera à n’avoir de choix qu’entre la résignation à la situation actuelle, faite de corruption générale et de népotisme, et l’émigration ; et aujourd’hui déjà, ces pays se vident de leur jeunesse et de leurs éléments les plus brillants et les plus qualifiés.

Ce qui revient à dire qu’il faut appeler à l’implication de la société civile dans le processus politique. Nous constatons nous mêmes, à chaque fois que ne tournons le regard vers les Balkans, que cette société civile, dans tous ces pays, est de plus en plus concernée, de plus en plus active et de plus en plus déterminée. Cela passe surtout par la création d’associations toujours plus nombreuses, un instrument potentiellement redoutable de pression et de médiatisation. On le voit bien précisément dans le domaine de la défense de l’environnement contre des entreprises très dommageables, notamment les barrages hydrauliques construits dans des conditions suspectes, fruit de la corruption des classes dirigeantes.

Depuis 2003, la politique de l’UE va dans la direction de l’ouverture aux Balkans occidentaux et à l’élargissement. Mais en principe, ces pays devraient garantir le respect, sur leurs territoires, de l’état de droit, de la démocratie et du développement durable. Où en sommes-nous de ce point de vue ? Pas très loin…

Dans son intervention https://m.dw.com/ ,Gudrun Steinacker esquisse un tableau général de la situation : la Serbie et le Monténégro se trouvent en pourparlers pour entrer dans l’UE ; les négociations de la Macédoine du Nord et de l’Albanie, elles, ont été interrompues faute de remplir les règles impératives ; la Bosnie a demandé que soient ouvertes des négociations pour son entrée ; et tout pas en avant même modeste du Kosovo est bloqué par la Serbie – alors même que la condition d’entrée de cette dernière est son entente pacifique avec son petit voisin tout récemment créé.

Le tableau n’est pas brillant. A première vue, rien ne semble bouger vraiment, sauf dans le mauvais sens. Si on généralise un peu plus : discours convenu des dirigeants en direction de l’UE, pratiques réelles qui mêlent trop souvent politique et criminalité mafieuse ou en col blanc. Ou les deux : c’est la cas partout. Certaines figures de l’espoir ont elles mêmes cruellement déçu, comme la procureure Katica Janeva à Skopje (Macédoine du Nord), accusée de corruption. Mais l’énumération serait trop longue ici…

Depuis la chute de l’ex-Yougoslavie, on assiste surtout à une évolution très inquiétante et qui porte ses fruits véreux aujourd’hui : émigration massive, introduction et exploitation d’une consommation de masse par des mains étrangères intéressées, barrages, grands travaux avec de l’argent sale, déboisement massif, tourisme de masse sans discernement, organisation des soins médicaux moins que médiocre, chômage massif… Ces société subsistent parfois surtout grâce aux fonds venus des milieux de l’immigration et du développement redoutable des «secteurs informels » (essentiellement du travail au noir).

Politiquement, on a pu assister à l’installation de régimes qu’on peut qualifier de diverses manières : cleptocraties, « autoritarisme élastique », « domination des cartels », « pseudo-démocraties illusionnistes », ou encore régimes mafieux. Mais bien évidemment, comment peut-on incriminer de tels gouvernements alors même que les Etats membres de l’UE (l’Allemagne, par exemple !) sont bien loin de donner l’exemple, dès lors qu’il s’agit de défendre leurs intérêts propres et égoïstes ? Et les groupes européens (PPE, APSE) jouent un rôle souvent ambigu et complaisant. D’autres puissances, comme la Chine et la Turquie, profitent ainsi de la situation pour s’installer sans doute durablement dans les Balkans – on connaît la vorace politique de prêts de Pékin dans la région, qui endette ces pays pour de longues décennies et crée ainsi une dépendance.

Dans ces conditions, il devient difficile, mais absolument nécessaire, de parler franc avec les dirigeants des Balkans occidentaux, et de se montrer intransigeant à l’égard des principes les plus fondamentaux. Et de soutenir beaucoup plus largement la société civile de ces pays et son organisation en associations ou organismes de revendication et d’action – comme nous le répétons inlassablement dans Eurojournalist. Mais encore faudra-t-il que l’UE sorte enfin de sa politique néo-libérale ! Faute de quoi, l’UE elle-même se trouvera vidée de sa substance.

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