UE : Un refus polonais concerté depuis longtemps
Le Centre et l’Est tiennent à la raclée du samedi soir
(Marc Chaudeur) – En Pologne, le gouvernement populiste-conservateur du PiS s’est opposé à la Convention d’Istanbul, destinée à sanctionner juridiquement les violences contre les femmes. En Pologne, mais aussi en Bulgarie, en République tchèque, en Slovaquie, en Hongrie, en Lettonie et en Lituanie, ce qu’on semble oublier… Comment expliquer ce pas en arrière de l’Europe centrale et orientale ?
La presse internationale, depuis quelques jours, ne cesse de porter sa lunette sans verre sur l‘attitude de la Pologne, répétant en boucle selon son habitude les mêmes bribes d’informations. Mais le refus de la Convention d’Istanbul sur les violences contre les femmes ne concerne pas seulement Varsovie gangrenée par le PiS dont le candidat – le président sortant Andrzej Duda – vient malheureusement de remporter les élections, retardant encore de quelques années les réformes absolument nécessaires à la Pologne, afin qu’elle puisse se trouver au diapason de l’Union européenne, dont elle fait partie depuis plus de quinze ans. Et cela dans tous les domaines ; y compris celui des mœurs.
Au sein des institutions dirigeantes de l’Union européenne, on a réagi vivement, notamment dans tous les groupes politiques du Parlement ; sauf dans ceux de l’extrême-droite. La chef(fe) du groupe des Socialistes et Démocrates a qualifié de « honteuse » cette décision ; l’eurodéputé libéral et ancien premier ministre roumain, Dacia Ciolos, membre du groupe Renew, a déclaré que « se servir de la lutte contre la Convention d’Istanbul pour manifester son conservatisme est un acte pathétique ».
D’ autres ont appelé l’Union à réagir et à se donner les moyens juridiques adéquats pour que les femmes soient protégées des violences, conjugales et autres. La secrétaire générale du Conseil de l’Europe, Marija Pejcinović Burić, a estimé haut et fort que la Pologne faisait « un pas en arrière dans le domaine de la protection des femmes contre la violence ». Et c’est bien de cela qu’il s’agit.
A l’explication fréquente qu’on entend souvent dans les milieux politiques ces deniers mois, à savoir que la Pologne – et les autres pays mentionnés – partent de la motivation de « défendre les valeurs traditionnelles », il faut bien évidemment répliquer que les violences contre les femmes ne sont pas des valeurs, ni des « valeurs traditionnelles ». Outre l’inflation récente du mot « valeur » (un mot à la mode, comme « impacter », « résilience » mis désormais à toutes les sauces socio-cuculs, ou « gérer », et quelques autres), on fera remarquer que la violence n’est pas une valeur du tout, ni plus précisément, la violence contre les femmes ; du moins pas en Europe. C’est ce qu’a fort bien asséné Guy Verhofstadt, député libéral au Parlement européen : en substance, que la décision du ministre de la Justice polonais, Zbigniew Ziobro, était « scandaleuse » et que la violence n’était pas une valeur traditionnelle.
Pourtant, le problème général se situe bien à ce niveau : la Pologne et une grande partie de l’Europe centrale et orientale rejettent en bloc toute une conception (du moins, une représentation…) de la vie sociale, de la tolérance et de la liberté morale. Leurs suffrages vont à une Europe macho et beauf’, celle des années 1950 en ce qu’elles avaient de pire.
C’est le paquet tout entier de la modernité que ces pays veulent jeter aux ordures en faveur d’une Europe rétrograde et inégalitaire . Celle que prônent l’Église catholique polonaise, et plus à l’Est, les diverses Eglises nationales orthodoxes qui, malgré les rivalités sanglantes qui les déchirent par endroits (notamment au cœur du Monténégro et entre les Etats) s’entendent toujours sur l’essentiel : l’oppression des femmes, des minorités et des plus démunis, au nom des principes de résignation et de cette soumission aux « autorités » qu’évoque si bien Saint Paul, repris inlassablement par les curés et les popes.
Dans l’annonce du ministre de la Justice polonais, il est possible aussi que se dissimule une stratégie interne aux magouillages politiques du plus haut niveau : car Zbigniew Ziobro n’est pas membre du PiS ; il a fondé lui-même son parti, qui s’appelle SP (Pologne Solidaire), en 2011, et cela en invoquant un manque de démocratie interne au sein du parti de Kaczyński, auquel il appartenait depuis 2001. Allez savoir ! Peut-être Ziobro, plutôt jeune, sera-t-il un jour lui même candidat beauf-ringard contre les partis modernes et europhiles…
Au moment du décès de cette grande figure qu’a été Gisèle Halimi, ces tribulations suscitent en tout cas une grande inquiétude sur l’avenir de la démocratie européenne. Et un profond dégoût.
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