Ukraine : une théière bien remplie
Un comique populiste bientôt président de l’Ukraine ?
(Marc Chaudeur) – Le 31 mars aura lieu le premier tour des élections présidentielles en Ukraine – peut-être suivi d’un second le 21 avril. Un choix peu exaltant, malgré le nombre record de candidats : la décision se fera entre le comique troupier Volodymyr Zelenski, plutôt populaire parmi les jeunes, et le président sortant installé après Maidan (2014), Petro Porochenko, populaire dans sa famille.
L’ambiance générale à Kiev et dans toute l’Ukraine est au ras le bol, au trop plein, comme d’ailleurs dans beaucoup de pays européens. La « Révolution » de Maidan, en 2014, n’a guère porté de fruits, elle qui prétendait rapprocher le pays de l’Occident et de l’Union européenne et, déjà, lutter contre la corruption – qui, il est vrai, sévit durement depuis la chute du « communisme » (et avant, déjà). L’indépendance nationale effective, l’une des promesses de plusieurs dirigeants successifs depuis les années 1990, et principalement de Petro Porochenko, n’a pas été tenue – mais les citoyens ukrainiens peuvent-ils en faire grief au président, qui a fort à faire avec un Poutine devenu de plus en plus agressif au fil des années ?
En Europe occidentale, on n’imagine guère le caractère composite de l’Ukraine :c ‘est pourtant l’une des clés du pouvoir et des élections, puisque le morcellement des partis favorise grandement la faiblesse relative des résultats électoraux. Elle pèse lourdement dans le domaine politique, comme on sait : la guerre sévit depuis maintenant 5 années dans l’Est, et la Crimée, majoritairement russophone (la minorité tatare notamment parle russe) a été annexée par Poutine tout récemment.
En tout cas, sur la cinquantaine de candidats aux présidentielles, trois l’emportent en popularité et en intentions de vote : Julia Tymochenko, la célèbre ancienne première ministre aux tresses pseudo-blondes et héroine de la Révolution orange de 2004, le guignol télévisuel Volodymir Zelenski, que soutient sans guère de discrétion un drôle de milliardaire, et la président sortant, Petro Porochenko. La première est en perte de popularité depuis quelques mois, principalement à cause de son ancienneté en politique, bien qu’elle ait changé de coiffure l’hiver dernier… Le favori, c’est Zelenski, crédité de 26 % des votes ; 19 % environ des électeurs choisiraient Porochenko.
Petro Porochenko, président depuis 2014, élu alors contre les menaces de la tendance pro-russe, c’est le Roi du chocolat. Auquel il doit sa fortune : en effet, il a fondé avec son père, en 1993, l’entreprise UkrPromInvest, qui produit des confiseries et des automobiles. Porochenko est ainsi devenu l’un des hommes les plus riches du pays ; mais aussi l’un des plus corrompus. Il traîne quelques casseroles sonores à ses basques. Les plus spectaculaires sont celles qu’ont révélé les Panama Papers et les Paradise Papers, en 2016 et 2017 : société offshore aux Iles vierges pour y abriter quelques affaires juteuses, très juteuses ; montages financiers nébuleux pour conserver ses actifs après son élection en 2014, alors qu’il avait promis de les revendre. Et distribution de prébendes mirifiques à ses chouchous.
Son adversaire principal , Volodymyr Zelenski, tire son succès d’une réaction populiste contre l’oligarchie, contre la ploutocratie. « Populiste », oui, parce que le comique télévisuel n’a aucune formation ni aucune connaissance politique, et qu’il fait croire aux citoyens que tout peut se résoudre avec de la… sincérité et de la… bonne volonté, et qu’il manie volontiers la truculence et l’insulte. Zelenski est l’acteur très connu d’une série TV où il incarne un beauf qui lui ressemble, et qui s’intitule Serviteur du peuple . Il faut reconnaître que ce titre traduit admirablement une certaine ironie populaire, qui exprime la constatation qu’un politicien, ce n’est visiblement pas fait pour servir le peuple.
Zelenski, un guignol aux capacités intellectuelles limitées qui croit au Père Noël ? Pas seulement. Il est en effet une créature du milliardaire Ihor Kolomoïski, un… oligarque banquier (Privat Bank), l’un des hommes les plus riches d’Ukraine. Un personnage qui sent le soufre. Passé des rangs de Iouchtchenko à ceux de Porochenko, on le sait proche (bizarrement pour un personnage issu de la communauté juive) des chefs néo-nazis du parti Pravy Sektor (Secteur droit). De 2014 à 2015, il a occupé le poste de gouverneur de l’oblast de Dniepropetrovsk, nommé par Porochenko. Là, il s’amuse bien : il finance des troupes paramilitaires qui affrontent parfois la garde nationale ; il défend le président d’une entreprise, placé par ses soins, en y envoyant une clique armée jusqu’aux dents. Et autres faits d’armes très inquiétants !
Volodymyr Zelenski, qu’on risque de voir bientôt à la tête de l’Ukraine, n’est pas simplement une chèvre comme celle que les Américains viennent d’élire maire d’une commune : comme l’a fort bien exprimé un député ukrainien , il est une théière : l’essentiel, c’est qui la remplit, et de quoi on la remplit. On sait qui remplit Zelenski.
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