Ulster : les arums refleurissent

Et le sang coule

L'Arum, symbole d'éternité et... de l'IRA Foto: Rüdiger Kratz/Wikimédia Commons/CC-BY-SA 3.0Unp

(Marc Chaudeur) – Hier, à Belfast, ont eu lieu les obsèques de Lyra Mckee, 29 ans. Pendant la nuit, des coups de feu avaient été tirés contre le domicile d’un républicain notoire et jadis très actif, Colin Duffy. C’est très certainement là une suite directe de la mort de la journaliste, jeudi soir. La tension ne cesse de monter depuis le vote du Brexit, depuis 2016. La violence est-elle donc en train de gagner à nouveau l’Irlande du Nord ?

Quand on n’est pas Irlandais, et parfois quand on l’est, on est étonné par le fait qu’en ville, il existe des bâtiments où se cantonnent des groupes extrémistes dont on sait qu’ils sont armés, et parfois lourdement : la Junior McDaid House, notamment, au Nord de Derry. Tout comme le bâtiment de Costello Road pour l’IRSP, un autre mouvement nationaliste, lui aussi marxiste. En 2016, de la maison de l’IRSP (qui lui aussi, dispose d’une branche armée, l’INLA), ses dirigeants ont déclaré que « la police devait se rendre consciente du fait qu’elle était sur le point de créer un engrenage de violence, et qu’elle risquait de créer un sérieux conflit dans la rue » ! Idem pour Saoradh jeudi dernier : les militants et les membres du Comité National exécutif qui s’y trouvaient (oui, oui…) se sont sentis provoqués. Et ils ont donc tiré. Et des balles se sont perdues.

Une situation éminemment classique en Irlande du Nord, donc, et malheureusement appelée à se répéter. Surtout dans cette période détestable qu’a ouvert le Oui au Brexit, il y a 3 ans ; une période saturée de dangers pour une part imprévisibles et bientôt, beaucoup à Belfast et à Derry le craignent : incontrôlables.

Pour ce qui concerne Saoradh, les journalistes empruntent un raccourci et avancent que la « branche armée » de ce parti, c’est la New IRA. C’est à la fois vrai et faux. Dans la valse aux arums, c’est-à-dire les scissions multiples qui se sont succédées depuis la fin des années 1969, ont émergé outre l’IRA « officiel », la Provisional IRA (les Provos, comme on dit là-bas), sur le refus de l’Agreement de 1997. En principe, la Prov’IRA a déposé les armes en 2005. Mais pas toujours aux endroits voulus par la police britannique et la Garda d’Eire… Car il existait manifestement des « puits » d’armes, où quelques-uns venaient se servir à volonté – et ont ainsi occasionné de nombreuses frictions, parfois mortelles, entre les chapelles d’activistes qui venaient s’y ravitailler… Beaucoup de ces armes ont été achetées il y a quelques années en Croatie (1999) et pour une moindre part, en Slovaquie, avec des finances américaines et libyennes.

Restent aujourd’hui essentiellement la CIRA (Continuity Army), fondée dès 1986, et la RIRA (Real IRA), formée en 1997 et toujours active. S’ajoutent à cela de nombreux groupuscules périphériques, souvent marxisants, comme l’IRSP qui se réclame de l’héritage de James Connolly. Ce que les journalistes appellent New IRA, c’est la RIRA moins les défections, plus un certain nombre de militants de la PIRA qui ont refusé la cession des armes et l’acceptation du Good Friday Agreement, en 1998. Sans que cette New IRA ait des contours très précis.

Les cheveux de beaucoup d’ Irlandais et d’ étrangers se sont dressés sur leur tête quand ils ont pu voir Saoradh défiler au pas autour du GPO (Poste Centrale), à Dublin, pour commémorer la Pâques de 1916… à peine 48 heures après le décès par balles de la jeune journaliste à Derry !

Le défilé regroupait tout de même environ 150 personnes, avec 2 fanfares et les volunteers en treillis et lunettes noires. On pouvait y reconnaître 2 personnages emblématiques de la lutte armée : Dee Fennell (qui a prononcé un discours d’un quart d’heure) et Brian Kenna.

La seule biographie de ces deux hommes pourrait remplir toute entière la poubelle d’un abattoir. Quelques faits sélectionnés : Dee Fennell, il n’y a pas très longtemps, s’est fait arrêter parce qu’il essayait de recruter des hommes pour aller occire de vilains Brits. Brian Kenna, lui, est précisément un ancien membre de l’IRA Provo, qu’il a quittée après 2005. En 1990, il appartenait à un groupe de 6 personnes condamnées à 190 ans de prison pour le braquage d’une banque à Enniscorthy, comté de Wexford. Il avait été libéré en 1998, après l’Agreement. En 2017, on l’avait reconnu coupable d’appartenance à l’IRA parce qu’il avait aidé à porter un communiqué hors de la prison de Portlaoise (en Eire).

Voilà à quel genre de personnages on a affaire dans l’histoire de Derry et de la mort tragique de Lyra McKee. Le Brexit, parce qu’il menace de réinstaller l’ancienne frontière entre Eire et Ulster, a ouvert la boîte de Pandore ; de façon significative, plusieurs attentats ont eu lieu depuis 2016 – date de la fondation de Saoradh – alors que la Paix semblait installé dans le pays.

Les vieilles querelles risquent fort de ressurgir dans leur brutalité la plus obscène. Et la concurrence à la violence, la valse des arums, risque d’être relancée à la musique de Theresa May qui verse des larmes de crocodile aux obsèques de Lyra. Ou à celle de ses successeurs.

Il faut calmer le jeu, arrêter cet absurde Brexit, faire manger les poteaux- frontière à Nigel Farage et revenir à un minimum de bon sens. Un grand nombre de vies humaines sont en jeu ici.

 

 

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