Un crime odieux ou un acte hautement moral ?

Le 4 février 1936, il y a donc 80 ans jour pour jour, l’étudiant juif David Frankfurter assassinait le chef du NSDAP en Suisse, Wilhelm Gustloff. Un crime ou de la «légitime défense» contre un système meurtrier ?

Ce bateau baptisé au nom de "Wilhelm Gustloff" fut coulé pendant les derniers jours de la guerre. Foto: Bundesarchiv / Bild 121-0665 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(KL) – Tu ne tueras point – voilà l’une des devises partagées par toutes les religions au monde. La vie est sacrée et il ne faut, en aucun cas, la prendre à autrui. Mais l’acte commis par le jeune étudiant juif David Frankfurter le soir du 4 février 1936 à Davos en Suisse, peut-on la classer aussi facilement comme un meurtre répréhensible ? La question n’est pas simple, mais l’assassinat du nazi convaincu Wilhelm Gustloff avait, à l’époque, déclenché un épisode compliqué dans les relations entre la Suisse et l’Allemagne nazie.

Le déroulement des événements de ce soir du 4 février 1936 est connu – car David Frankfurter a eu la chance que son procès ait eu lieu en Suisse et qu’il ait pu être libéré à la fin de la guerre pour s’exiler en Israël et il a pu témoigner durant et après le procès. Selon les témoignages, David Frankfurter sonne à la porte de cette maison bleue au Kurpark 3 à Davos. C’est la femme de Gustloff qui ouvre et Frankfurter demande s’il peut parler à Wilhelm Gustloff. Il entre et attend le chef nazi en Suisse dans le cabinet de travail de Gustloff. Pendant qu’il attend, racontait Frankfurter en 1950, une colère énorme le saisit, lorsqu’il voit le portrait d’Hitler, dédicacé à «mon cher Gustloff». Lorsque Gustloff entre dans la pièce, Frankfurter sort un pistolet et tire. Trois fois. Gustloff tombe mort et Frankfurter prend la fuite.

Pendant le procès, il explique aux juges que dans un premier temps, il avait l’intention de se suicider, mais finalement, il se rend à la police. Quelque mois plus tard, le procès devient une épreuve pour les relations compliquées entre la Suisse et l’Allemagne nazie. Cette dernière insiste pour nommer un procureur qui défend la femme de Gustloff, partie civile dans le procès et c’est le juriste Friedrich Grimm qui allait marquer ce procès de l’empreinte nazie. Toutefois, la justice suisse résiste aux requêtes allemandes et n’extrade pas David Frankfurter vers une mort certaine en Allemagne. Malgré les tensions, protestations et menaces allemandes, la justice suisse condamne finalement David Frankfurter à 18 ans de prison, évitant, au grand dam des nazis, la peine maximale de 25 ans d’emprisonnement. Etre condamné en Suisse lui avait sans doute sauvé la vie.

Après la fin de la guerre, David Frankfurter a été gracié et pouvait partir en Israël où il menait une vie paisible avec la famille qu’il y fondait. L’histoire de David Frankfurter est plus qu’une anecdote historique – elle a un rapport avec l’actualité. Est-ce un acte moral que de tuer le «tyran» ? Est-ce que la devise «tu ne tueras point» prévaut sur toutes ces considérations ? Le monde avait applaudi lorsque des dictateurs comme Ceausescu, Saddam Hussein, Mouammar Ghaddafi et d’autres furent tués – est-ce que l’assassinat d’un tyran constitue un crime ou un acte moral ?

Toujours est-il que le nom de Wilhelm Gustloff allait encore gagner une triste célébrité. Un paquebot baptisé en son honneur, transportant de milliers de réfugiés, était coulé pendant les derniers jours de la guerre sur la Mer Baltique, faisant de milliers de victimes. David Frankfurter, presque oublié par l’Histoire, mourut en 1982 à Tel Aviv.

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