Un imaginaire européen ?

L’imaginaire européen deviendra un imaginaire social.

Et c'est ainsi que Jupiter tenta de ravir Europe. Y parvint-il ? Il existe plusieurs versions de ce mythe, heureusement ... Foto: Gift of Robert Hartshorne, 1918 / Wikimedia Commons / CCO 1.0

(M C) – Voici deux jours, un collectif improvisé (qui se compose de Marie Desplechin,Yannick Jadot, Dominique Meda, Benoît Biteau et Damien Carême) a publié dans Libération un Manifeste intitulé : Pour une Europe plus sociale, plus écolo, plus solidaire. La vision de l’Europe qu’on y expose est tout à fait la nôtre. Son aspect le plus problématique pour nous réside en ce qu’une fois de plus, les signataires exposent des principes, mais n’évoquent guère les moyens de les réaliser. Il est vrai que tout reste à construire, ou presque ! Mais cela importe peu. Un tel texte est essentiellement fait pour éveiller ou réveiller en nous un panorama, un visiorama coloré et exaltant de notre cher sous-continent. Le sous-continent de Johnny Halliday et d’Albert Einstein. Mais n’ironisons pas, car l’affaire est sérieuse. Il s’agit de l’imaginaire européen. Le texte du Manifeste mentionné pose admirablement le problème :

« Comment faire émerger un imaginaire européen si l’Europe martyrise les Grecs, légitime le dumping social et fiscal, se plie aux lobbies des pesticides, du nucléaire, du pétrole ou du diesel, se divise face à Poutine, à Erdogan ou à Trump, implose lorsque frappe à nos portes une part, juste une infime part de la misère du monde ? »

L’imaginaire donc. Cette notion d’imaginaire empreinte un peu à la part positive que recèle la notion d’utopie : quelque chose de très beau qu’on voit, là, juste en haut, qui n’existe (encore ?) nulle part, et dont on espère que cela se réalisera un jour. L’imaginaire, au fond, c’est la représentation originaire de l’utopie, l’écran de projection qui occupe le champ de vision quand on n’en est pas encore au stade où l’on rêve de sa réalisation. L’imaginaire européen, en somme, c’est l’espace parsemé d’images positives et valorisantes, une toile magique faite de nos désirs et de nos savoirs.

En nous, dans les années 1970 (temps de notre adolescence), le mot « Europe » éveillait quelque chose de mou, de fadasse ; il dégageait une odeur de chou (Bruxelles oblige), un peu comme dans les arrière-cours des pays d’Europe centrale. Le charbon, l’acier, les agriculteurs en colère qui écrasaient leurs surplus de betteraves dans les rues de nos villes… Mourir pour Bruxelles ou pour Bonn ? Non, merci.

Autre pièce maîtresse d’un imaginaire aujourd’hui largement désuet : les capitales aux anciens parapets, les vieux cafés des métropoles aux velours passés ; Vienne, Lisbonne, Prague, Berlin, Budapest, Paris, aussi… L’Europe de la nostalgie décadente ; comme dans cette magnifique chanson de Roxy Music, A Song for Europe… Cela au moins suscite une certaine émotion. Mais au fond, cette nostalgie distinguée n’était autre que le reflet perdu de ces deux siècles à peine, XVIIeme et XVIIIeme, où l’Europe unie a réellement existé : dans les salons de l’aristocratie, où les compositeurs ne cessaient de se renvoyer la balle de leur jeu de paume musical : de l’Italie à la France, puis la synthèse allemande (Bach), et le creuset commun où se précipitaient toutes ces influences. Oui, Une Europe unie ; mais pour des cercles minuscules seulement.

Mais aujourd’hui, nous disposons des apports contradictoires de l’expérience vécue d’une Europe. D’une Europe institutionnelle qui aujourd’hui, est essentiellement affairiste, certes ; d’une Europe de comptables en charentaises. Mais d’une Europe où malgré tout, les dirigeants de pays à la fois très divers et unis par certaines valeurs (du moins, la plupart…) parviennent le plus souvent à dialoguer.

Situation qui nous place devant un tableau sans précédent. Tout reste à construire de cette Europe sociale que nous appelons de nos vœux, mais après le demi-siècle bien rempli qui vient de s’écouler, jamais nous n’avons vu aussi clairement à quoi elle devrait ressembler. Le peut-elle ? C’est affaire de volonté, de moyens et de clairvoyance économique et politique, bien évidemment.

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