Un masque pour ne pas mourir

Esther Heboyan se pose les questions que tout le monde se pose – où sont les masques et pourquoi les masques disponibles ne sont pas gratuites ?

Est-ce que seul le "système D" pourra améliorer la situation ? Foto: Tadeáš Bednarz / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Par Esther Heboyan) – L’autre soir aux actualités de 20h, et peu importe la chaîne car les tranches d’information audiovisuelle se succèdent et se font pitoyablement écho, un journaliste-commentateur de l’état du pays en crise sanitaire croit bon de souligner que les pharmacies n’ont pas l’autorisation de vendre des masques. Mais d’où, de quelle source, a-t-il tiré cette information qui dans la pratique se révèle fausse, archi fausse ?

Pseudo-information qui fait croire à une déontologie corporatiste contrôlée par l’État qui du coup se place en super moralisateur des affaires de la France. Nous voilà rassurés. Et voilà de quoi alimenter les débats autour de l’infiniment épineux rapport entre politique et morale, sans oublier d’orienter vers une conclusion consensuelle les copies en classe de philo, classe post-confinement il va sans dire. Mais de qui se moque-t-on ?

Où sont les masques ? Les masques sont en vente pour qui sait les dénicher et les payer en espèces sonnantes et trébuchantes ou par carte de crédit prosaïque. Dans une pharmacie, un masque dit alternatif, c’est-à-dire en simple tissu, est vendu à 9.90 euros. Dans une autre pharmacie, un masque de protection s’affiche à 15.00 euros. Sur internet, les lots de masques sont en vente par 6, 10, 50, voire 60, et les prix varient selon le degré de sophistication. 33,11 euros, 8,99 euros, 69,00 euros… Masques jetables, lavables, unisexes… À ce jour, et faut-il s’en réjouir en pleine catastrophe planétaire, on n’a pas repéré les mentions « universel », « univalve », « anti-âge », « anti-urticaire », « régulateur d’inégalités », « compensateur de profits en temps de désespoir ». Mais de qui se moque-t-on ?

Comment un pays comme la France peut, à propos de la pénurie de masques, s’embourber dans des discours à tonalité variable et constamment indécemment mensongers ? Certes, la situation, dit-on, ne date pas d’aujourd’hui. On manque de masques car on a manqué de clairvoyance, de prévoyance. Un grand merci à tous ceux et celles qui se sont couronné.es de lauriers en pensant diriger le pays. Certes, depuis des décennies, on se targue d’être une puissance mondiale. Vente d’armes, contrats industriels, Coco Chanel, partenariat dans le domaine scientifique (dont un voyage ministériel à Wuhan, écrit-on), déploiement de la francophonie (idée qui a fait son chemin jusqu’à Brisbane en Australie).

Certes, on ne peut tout prévoir à coup de législations, d’interdictions, de prescriptions. Le hasard, lui aussi, s’invite dans la gentille ou méchante ronde de la vie. Et donc depuis la province de Hubei en Chine centrale arrive ce coronavirus déstabilisateur et tueur.

Mais où sont les masques pour nous protéger ? Et pourquoi les masques, s’ils arrivent un jour dans les officines, les mairies, les centres de santé, les supermarchés (?), ne seront-ils pas distribués gratuitement ? Oui, gratuitement ! Pourquoi faut-il payer pour ne pas mourir ? Pourquoi faut-il mourir si l’on ne peut pas payer ? À la sélection naturelle (inégalité constatée, scientifiquement documentée devant la Contagion-Grande-Faucheuse), on ajoute la sélection économique, celle créée et entretenue –cyniquement– par l’intelligence humaine dans les sociétés qui se disent en phase avec la modernité.

Aux grands économistes, malgré leur grand talent, il convient de rappeler que les personnes de France en situation précaire, les pauvres quoi ! n’auront pas de « budget masques » pour le mois de mai.

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