Un père obstiné, par amour.

Notre expert cinéma Nicolas Colle a rencontré le réalisateur Vincent Garenq dont le film «Au nom de ma fille» est basé sur une histoire qui avait ému toute la région.

Daniel Auteuil est magistral dans "Au nom de ma fille" qui restitue l'affaire Bamberski. Foto: (c) Studio Canal

(Par Nicolas Colle) – Réputé pour ses films engagés, Vincent Garenq nous revient cette semaine avec une œuvre particulièrement intense, qui nous plonge au cœur du combat qu’a mené André Bamberski. Celui-ci a dû lutter durant près de trente années contre les institutions judiciaires françaises et européennes afin de faire condamner le meurtrier de sa fille. Le cinéaste nous a confié la teneur de sa rencontre avec cet homme ordinaire au départ devenu exceptionnel par son amour absolu pour son enfant et sa volonté de lui rendre justice. Un fait divers grave, très grave qui a nourri la rubrique des crimes et un beau film, peut-être réparateur.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’adapter cette traque incroyable ?

Vincent Garenq : J’ai lu le livre «Pour que justice te soit rendue» d’André Bamberski, avec la même intensité que «Présumé Coupable» d’Alain Marécaux. J’y ai tout de suite vu la structure d’un film avec des scènes très fortes émotionnellement. Mais au-delà du simple fait de dénoncer le fonctionnement de la justice, comme je le faisais déjà dans mes deux précédents films, ce qui m’intéresse ici avant tout, ce n’est pas tant l’aspect judiciaire de cette affaire que le parcours de cet homme, son obstination, sa ténacité et cette forme d’amour ultime qu’il peut avoir pour sa fille. La paternité est quelque chose qui est au cœur de tous mes films et qui me touche particulièrement depuis que j’ai eu mes deux enfants.

Ce qui est assez affolant et que vous démontrez avec ce film, c’est à quel point la justice française peut être défaillante. Car si André ne fait pas enlever le tueur de sa fille pour le ramener en France, ce dernier est susceptible de n’être jamais incarcéré alors qu’il a été reconnu coupable et condamné à 15 ans de prison ?

VG : Bien sûr, tout ça a été complètement bâclé. Que ce soit au niveau de l’enquête initiale et de l’autopsie qui sont pour le moins très inquiétantes. André a toujours eu le sentiment que Krombach était très protégé, presque intouchable, de par sa notoriété et sa stature. Il s’est même imaginé qu’il puisse travailler pour les services secrets allemands car il trouvait curieux qu’un médecin ait pu travailler au sein de l’ambassade allemande du Maroc. C’est son intuition de père qui lui a fait se méfier de tout ça et l’a poussé à enquêter par lui-même. Et plus il creusait, plus ses soupçons s’avéraient exacts. Mais aux yeux de la justice, c’est devenu un emmerdeur, une sorte de boulet qu’on trimballe et qui ne voulait rien lâcher. Ce dossier, c’est le dossier de sa vie. Il le connaît mieux que ses avocats ou les juges qui ont instruit l’affaire car eux en gèrent des centaines. Et toutes ces péripéties ont amené cette histoire à s’étaler sur des décennies. Alors oui, on se demande où est la justice… Et j’ajouterai une dernière chose par rapport à André, c’est qu’il a mené ce combat vraiment seul, car son ex-femme, elle, s’est placée dans une forme de déni pour mieux accepter la mort de sa fille et ne pas s’effondrer. En quittant André pour le Dr. Krombach et en présentant ce dernier à Kalinka, elle a fait entrer le loup dans la bergerie et a préféré fermer les yeux pour ne pas avoir à affronter cette situation. Et même si, à la fin, elle comprend qu’André avait raison en tout point, lui, de son côté, lui en veut vraiment de ne pas l’avoir aidé à rendre justice à leur enfant.

Il se trouve que j’ai la chance de connaître un peu Daniel Auteuil car nous avons travaillé ensemble sur le tournage de «Avant l’hiver» au Luxembourg. A cette occasion, j’ai pu constater à quel point il pouvait être talentueux, sympathique, drôle, humain, mais aussi très angoissé et particulièrement attaché à ces enfants. Du coup, autant je le trouve parfait dans ce rôle, autant j’ai été surpris qu’il l’ait accepté si facilement car je pensais qu’interpréter un personnage perdant un enfant pouvait être très douloureux pour lui ?

VG : Et pourtant, au contraire, il avait très envie de jouer ce rôle car c’est un film sur la paternité et justement, parce qu’il aime infiniment ces enfants, c’est un sujet qui le touche et qu’il avait envie de défendre. D’ailleurs, pour l’anecdote, une fois le film fini, on a organisé une séance pour le montrer à Daniel qui a amené ses filles avec lui… A la fin de la projection, ils étaient tous bouleversés et sont tombés dans les bras les uns des autres en pleurant. J’ai eu beaucoup de chance qu’il accepte car je ne voyais personne d’autre que lui qui soit capable d’apporter autant d’émotion et de conviction dans son interprétation.

Son jeu est très juste et surtout plein de pudeur… Il ne tombe jamais dans un excès de gravité, de pathos ?

VG : Par chance, on s’est totalement rejoint sur ce point avec Daniel qui ne veut pas verser dans le mélodrame. Cette pudeur était d’autant plus nécessaire qu’André est lui même très pudique. Il enfouit tous ces sentiments au fond de lui et ramène au juridique tout ce qui concerne cette affaire. D’une manière générale, je ne calcule jamais l’émotion. J’essaie de rester le plus digne possible dans mon écriture et ma mise en scène et si les spectateurs sont embarqués dans cette histoire, ils pleureront d’eux-mêmes. C’est souvent en essayant de retenir l’émotion qu’elle finit par jaillir le plus intensément.

Le montage est très efficace car vous parvenez à condenser trente années de vie en une heure et demie. A ce propos, c’est le troisième film que vous faites débuter par une scène qui est, en réalité, chronologiquement très éloignée dans le déroulement du récit, avant de revenir sur les événements qui l’ont précédée. Pourquoi ce choix, par ailleurs très astucieux ?

VG : Alors pour ça, j’ai une théorie personnelle qui est que l’on ne trouve le début d’un film qu’au moment où on s’apprête à le finir. On va dire que c’est «la théorie Vincent Garenq» (Rires). Donc je n’essaie pas de trouver un début définitif au moment de l’écriture du scénario, je me laisse le temps de tourner et de monter le film. C’est vrai que mes trois derniers films commencent par trois «flashbacks». Pour «Présumé Coupable», le récit était en continu et il fallait l’armer par quelque chose de fort. Donc on a eu l’idée de commencer par la séquence où il est interrogé par le juge Burgaud après avoir déjà passé plusieurs mois en prison.

Pour «L’Enquête», j’ai eu l’idée de commencer le film par cette séquence où la police vient perquisitionner la maison de Denis Robert (affaire Clearstream) car c’est là qu’on comprend que son investigation l’a mené jusqu’à une certaine extrémité et qu’il n’en est pas sortie indemne. Et pour celui là, j’ai choisi de commencer par la séquence de l’arrestation d’André et de son audition devant la juge qui lui dit : «on ne se fait pas justice soi-même Monsieur Bamberski…». D’ailleurs, dans le scénario cette scène était à la fin, mais dans le film elle n’avait plus d’enjeu si on la plaçait là alors qu’en la mettant au début, le film décollait enfin. D’autant plus que tout le monde ne connaît pas cette histoire, ce qui amène une tension à travers cette phrase de la juge car on suppose que le personnage d’André a pu commettre l’irréparable.

Juste pour conclure, puis je vous demander comment se porte Monsieur Bamberski aujourd’hui, après toutes ces années de lutte et de souffrance ?

VG : Il va mieux depuis qu’il a été légèrement condamné pour l’enlèvement de l’assassin de sa fille et que le pourvoi en cassation a été rejeté mais, actuellement, ce qui le mine, c’est que la sécurité sociale lui demande de payer les frais d’hospitalisation en prison de Krombach. C’est quelque chose qui lui pèse vraiment car après avoir effectué un tel parcours et pris la justice française en flagrant délit de défaillance, on vient encore lui chercher des ennuis judiciaires… Qui plus est, par un autre organisme. Mais il est toujours aussi actif et combatif. Il fait notamment profiter de son expérience en aidant des gens qui ont des problèmes judiciaires similaires notamment dans des affaires avec l’Allemagne.

Voilà un film qui bouleversera certainement de nombreux spectateurs et qui, espérons le, donnera à réfléchir sur la nécessité de réformer en profondeur certains aspects du système judiciaire français et européen.

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