Un petit bijou cinématographique : «Je suis à vous toute de suite»

Nicolas Colle présente le nouveau film de Baya Kasmi – une comédie sympathique qui confirme les débuts étincelants de la carrière de la jeune artiste.

Un film qui vaut le détour - "Je suis à vous toute de suite" de Baya Kasmi. Foto: Distribution

(Par Nicolas Colle) – Comment traiter au mieux des sujets aussi graves et sérieux que l’intégration ou le rapport à la religion au sein d’une famille, qu’à travers une belle comédie aussi fraîche et pleine de tendresse que ce petit bijou : «Je suis à vous tout de suite» ?

A travers ce premier long métrage, la réalisatrice Baya Kasmi nous berce à nouveau avec sa finesse d’écriture dont elle nous avait déjà fait profiter en cosignant les scénarios des très réussis «Le Nom des gens» et «Hippocrate».

Ici, c’est un sujet très personnel qu’elle a souhaité évoquer, en portant un regard et une analyse sur le rapport à l’identité que peut avoir sa génération d’enfants d’immigrés et comment certains peuvent être amenés à se revendiquer une identité française et d’autres à se tourner davantage vers le religieux, ou l’Algérie, qu’ils n’ont pourtant pas ou peu connu, mais dont ils rêvent.

On y suit le parcours d’Hanna et Hakim, deux frères et sœurs, que la vie a peu à peu séparé, bien que tous deux soit issu d’une famille aimante comme la réalisatrice en témoigne : «Ce sont deux personnages qui ont eu un traumatisme en commun. Ils se sont alors retrouvés dans l’incapacité de se parler et aujourd’hui il leur est très difficile de communiquer entre eux. D’autant plus, que leurs grilles de lecture du monde sont très différentes, ce qui les empêchent de se regarder l’un et l’autre avec bienveillance car ils se jugent et se sentent jugés

En effet, tandis qu’Hakim, tourmenté par une enfance où ses camarades de quartier le renvoyaient sans cesse à sa différence et à sa double identité, a choisi de se tourner vers une pratique presque radicale de la religion musulmane, Hanna, quant à elle, a décidé de s’affranchir de toute forme de morale et de s’adonner pleinement à la vie, avec la plus grande liberté. Ce qui nous donne à voir, en plus d’une analyse drôle, juste et profonde de la société française contemporaine, un très beau portrait de femme à travers ce personnage très touchant, dans son rapport au corps et aux autres, incarné avec beaucoup de charme et de sensualité par la délicieuse Vimala Pons :

«Je tenais à filmer cette liberté féminine car je pense que la sexualité des femmes est toujours passée au prisme de la morale. Quand on est une femme et qu’on veut vivre librement il y a toujours en premier lieu, une sorte de honte, avant une certaine libération. On dit beaucoup plus facilement qu’une fille perd sa virginité qu’un homme. Il y a comme l’idée qu’elle se fait prendre, qu’elle se donne à quelqu’un. On a toujours le sentiment qu’elle perd quelque chose, alors que ce n’est pas le cas d’un garçon. Donc la sexualité des filles peut parfois se construire sur quelque chose d’assez lourd et d’un peu honteux. Pour moi, c’est une vraie revendication que de sortir de là. Et je pense que ce personnage, qui a vécu une certaine honte liée à son corps et au regard des autres sur elle, s’est libéré de ça en faisant comme si ce qu’elle fait semblait complètement naturelle. Donc elle est passée au dessus de toute forme de morale et de honte, c’est ça sa liberté

Mais c’est au moment où la réalité leur revient en plein visage, avec ce qu’elle peut avoir de plus cruelle et d’injuste, que le frère et la sœur en viennent à se rappeler des liens du sang qui les unit, et acceptent leur différence. Ce qui constitue le thème majeur et le plus essentiel du film, à une époque où nombre de gens se trouvent dans le jugement de l’autre et dans l’envie de convertir chacun à ses pratiques, à son mode de vie et à ses croyances, comme nous le rappelle Baya Kasmi à travers ses expériences personnelles :

«Il y a toujours eu dans la religion, le jugement porté vers le non religieux, qui est plus fort dans la religion musulmane parce que l’athéisme ne s’est pas installé. Tout comme il a mis très longtemps à s’installer dans le catholicisme. Donc pour moi, il y a une faille dans le religieux, qui est ce désir de juger et de s’imposer des règles. Or, dès qu’on s’impose des règles, on veut que les autres suivent ces mêmes règles, parce qu’on considère que c’est la vérité ultime. Personnellement, j’ai exprimé, dans ma jeunesse, une certaine révolte vis à vis de la religion à cause de cela. Parce que je ne supportais pas les regards sur moi et je ne supportais pas l’idée d’une morale religieuse. Donc, j’ai pu être assez violente contre ça pour m’en libérer. Mais aujourd’hui, je m’aperçois qu’il y a certains croyants qui souffrent également du jugement des athées. Car, au fond, on projette sur eux le désir qu’on a de les voir nous ressembler, et on a du mal à s’en rendre compte. A une époque, en voyant les premiers voiles en France, alors que j’étais féministe, j’étais angoissée car j’y voyais une prison. Puis j’ai compris que que ce regard que je portais, était injuste car emprunt d’un jugement et du désir que j’avais de voir ses femmes me ressembler. J’étais incapable de comprendre qu’elles avaient leur propre chemin. Après tout, moi je ne veux pas qu’on me regarde comme une pute parce que j’ai un décolleté. Donc, je n’ai pas non plus, à regarder ces femmes comme des victimes parce qu’elles portent un voile. Maintenant, je réalise à quel point j’ai pu concevoir ce film comme une recherche de dialogue intérieur contre certains préjugés que j’ai pu avoir à un moment de ma vie.»

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"Je suis à vous toute de suite" - le premier long métrage de Baya Kasmi est un véritable bijou ! Foto: Distribution

“Je suis à vous toute de suite” – le premier long métrage de Baya Kasmi est un véritable bijou ! Foto: Distribution

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