Un sujet inédit : « IllustrAlice » au Musée Tomi Ungerer »

Thérèse Willer présente l'exceptionnelle exposition au Musée Tomi Ungerer-Centre international de l’Illustration à Strasbourg.

Découvrir le monde d'Alice vaut le déplacement... Foto: Affiche organisateurs

(Thérèse Willer) – Alice au pays des merveilles ? Un sujet qui à première vue semble rebattu. En réalité, un sujet qui revêt des aspects inédits, mis en avant dans l’exposition « IllustrAlice » au Musée Tomi Ungerer-Centre international de l’Illustration. Ce volet du projet « SurréAlice » se concentre sur l’illustration des deux récits imaginés par l’écrivain anglais Lewis Carroll (1832-1898), Alice au pays des merveilles et Alice de l’autre côté du miroir, publiés respectivement en 1865 et en 1871. Bien que l’auteur ait lui-même réalisé quelques dessins pour son manuscrit, c’est à John Tenniel, réputé à l’époque pour ses caricatures dans le magazine Punch, qu’on doit l’ensemble des illustrations des deux volumes. Le parcours de l’exposition, qui se déroule sur les trois niveaux du musée, explore diverses expressions graphiques du thème, non seulement dans l’album pour enfants mais également dans le registre du dessin d’humour et de satire, tout au long du XXe siècle jusqu’à nos jours. A l’aide de 150 œuvres originales, livres et documents qui ont été empruntés à diverses institutions européennes et britanniques et qui sont présentés thématiquement, figurent des noms célèbres au même titre que des artistes méconnus ou même oubliés.

Publiée dans d’innombrables éditions, l’histoire illustrée d’Alice a acquis au cours des années une dimension universelle dont on peut observer les émanations jusque dans les mangas japonais et a créé un univers d’images foisonnant. Les illustratrices et les illustrateurs du monde entier se sont fréquemment emparé de la composante fondamentale d’Alice, le nonsense. Mais au-delà de ce dénominateur commun, les interprétations graphiques du récit sont très diverses. C’est ce que l’exposition s’attache à montrer en se basant sur quelques exemples de contextes géo-culturels dans lesquels ont œuvré les artistes. Dans le monde britannique et anglo-saxon, Peter Blake, Mervin Peake, Ralph Steadman, Ronald Searle, entre autres, renouent avec la tradition initiée par John Tenniel pour dresser un portrait parfois satirique de la société de leur époque. Il n’est pas surprenant que le motif d’Alice y ait été fréquemment utilisé comme support iconographique pour la critique politique dès la fin du XIXe siècle, par exemple par Thomas Nast qui illustrait les articles du journal américain Harpers Weekly. D’autres dessinateurs de presse vont se succéder au siècle suivant, de E.H Shephard à Nicholas Garland et Martin Rowson, qui moquent la politique de leur temps en mettant en scène des personnages tirés du récit carrollien. Ce sont des images parfois difficiles à décrypter de nos jours, exceptée toutefois de celle qui présente Theresa May en Alice empêtrée dans le Brexit, qui reste bien reconnaissable.

Dans la sphère franco-belge, l’illustration d’Alice est plutôt sous l’influence du surréalisme, qui dans les années 1930 avait redécouvert Lewis Carroll jusqu’alors connu comme auteur pour les enfants. Ainsi Roland Topor, co-fondateur du mouvement Panique, et Folon, inspiré par Magritte et Delvaux, imaginent un univers où les créatures d’Alice empruntent la voie des rêves chers aux surréalistes. L’esprit surréaliste va inspirer jusqu’à l’album pour la jeunesse en France, comme le montrent dans les années 1970 et 1980 les innovations graphiques de Nicole Claveloux, d’Alain Gauthier et de Nicolas Guilbert sur le thème.

Ailleurs en Europe, c’est une « inquiétante étrangeté » qui imprègne les œuvres provenant de la Mitteleuropa, qu’elles soient dessinées en noir et blanc -comme le fit à l’origine John Tenniel- par Dagmar Berkova et Marketa Prachatika, ou qu’elles soient colorisées avec subtilité par Dusan Kallay et Jiri Trnka.

La diversité d’Alice n’est cependant pas que géo-culturelle. En effet son visage, à l’instar d’autres motifs iconographiques dans l’illustration, a progressivement évolué dans le temps. Entre la représentation des années 1900 par Alice B. Woodward, finement aquarellée, et celle en 1966 par Tove Jansson, tracée à l’encre, Alice s’est modernisée tant par son apparence que par son caractère. Quelques années plus tard, certains artistes comme Peter Blake ou Barry Moser l’ancrent même fortement dans la réalité, en prenant comme modèle leur propre fille. Une Alice aux accents réalistes se superpose et même se confronte alors à l’univers onirique de Lewis Carroll.

Mais l’illustration d’Alice revêt encore une autre dimension, qui est loin du registre pour la jeunesse et qui ne doit pas être occultée. A l’instar des contes et légendes revisités sur le mode érotique, elle connaît des prolongements inattendus dont les représentations sont strictement réservées aux adultes. Des magazines populaires de la seconde moitié du XXe siècle ou à l’opposé, des versions raffinées comme celle, contemporaine, d’Antoine Bernhart, témoignent entre autres de la vitalité du thème dans ce registre.

Alice est un sujet immense, aux expressions multiples, et qui continue d’inspirer la création d’aujourd’hui. L’histoire d’une « Alice animée », par exemple, mériterait une exposition en soi. Celle du Musée Tomi Ungerer l’esquisse en montrant des plaques de lanternes magiques, dont les auteurs ont été les premiers à exploiter encore du vivant de Lewis Carroll le thème d’Alice. C’est bien sûr à Walt Disney que revient le mérite d’avoir popularisé le sujet à l’échelle mondiale, en 1951, dans des décors dessinés par la talentueuse Mary Blair.

Jusqu’au 26 février 2023 : dans le cadre de « SurréAlice », « IllustrAlice » au Musée Tomi Ungerer-Centre international de l’Illustration et « Lewis Carroll et les surréalistes » au MAMCS (Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg).

Le 18 février à 17h, rencontre avec les co-commissaires de l’exposition « SurréAlice » à la Librairie Kléber : « Alice, un motif privilégié pour l’illustration »

L’auteure de cet article, Thérèse Willer, est Conservatrice en chef honoraire du Musée Tomi Ungerer-Centre international de l’Illustration.

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