Un sultan (pas si) fou (que ça)

Recep Tayyip Erdogan rêve toujours de l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne et mène l’Europe par le bout du nez. Pourquoi pas, puisque l’UE joue son jeu.

Tant que l'Europe lui fera des cadeaux, Erdogan les prendra. Foto: U.S. Department of State / Wikimedia Commons / PD

(KL) – En principe, Recep Tayyip Erdogan n’a pas tort. Il se moque ouvertement de l’Union Européenne qui elle, récompense sa politique et son attitude impertinente avec un nouveau cadeau de 3 milliards d’euros. Franchement, pourquoi Erdogan devrait-il se gêner ? Si l’Europe est assez bête pour financer un président-dictateur qui viole les Droits de l’Homme, qui emprisonne son opposition, des journalistes et artistes, qui mène une guerre offensive contre les Kurdes sur le territoire de deux Etats souverains, la Syrie et l’Irak, ce président-dictateur peut se frotter les mains et encaisser son chèque. Reste la question: pourquoi l’UE se comporte-t-elle aussi maladroitement?

Lors du sommet européen à Varna en Bulgarie, les représentants des Etats-membres de l’Union Européenne avaient d’abord droit à un Erdogan en mode « jérémiade » – « depuis 1963, la Turquie demande l’adhésion à l’Union Européenne et aujourd’hui, nous sommes en 2018… » – étonnant que personne parmi les puissants européens n’ait trouvé le courage de lui en expliquer les raisons. A savoir, la transformation de la Turquie en un Etat totalitaire qui mène des guerres dans ses pays voisins et qui élimine systématiquement une minorité, les Kurdes. Au lieu de rappeler à Erdogan les valeurs fondamentales européennes, le président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker, s’est dépêché d’annoncer que l’UE allait débloquer la deuxième tranche de 3 milliards d’euros dans le cadre de l’accord sur les réfugiés que l’Union Européenne avait conclu avec la Turquie.

Pour certains, cet accord sur les réfugiés syriens et surtout, sur une meilleure surveillance des côtes turques par les garde-côtes turcs, est la seule raison pour laquelle il faut maintenir cette relation bizarre entre l’Europe et Erdogan. Pourtant, un regard sur les réalités de cet accord s’impose. Le « deal » prévoit que la Turquie reprenne des réfugiés syriens arrivés illégalement en Grèce, pour ensuite envoyer des réfugiés syriens dûment enregistrés vers l’Europe. Hormis la question éthique que pose ce « troc » de « bons » contre « mauvais » réfugiés, cet accord est chèrement payé. Pour un total de 6 milliards d’euros, la Turquie a repris depuis 2016, un total de 1564 réfugiés syriens. En échange, la Turquie a envoyé 12489 réfugiés syriens vers l’Europe. Donc, l’Union Européenne paie environ 3,84 millions d’euros pour chaque réfugié syrien renvoyé en Turquie. A se poser la question s’il n’aurait pas été moins cher de les garder chez nous.

Bon, une partie de cet argent est aussi utilisée pour des programmes de scolarisation d’enfants réfugiés et pour le maintien des différentes structures de détention de réfugiés syriens. Mais il n’en reste pas moins que l’Union Européenne finance le président-dictateur Erdogan et que ce dernier peut se permettre de narguer les responsables européens, sans que l’Europe institutionnelle ne bronche.

Et si l’Europe montrait ses limites à Erdogan ? Si l’Europe annulait tout simplement cet accord honteux, au lieu de le financer ? Pourquoi l’Europe mobilise-t-elle des fonds pour soutenir un régime qui viole quotidiennement les valeurs européennes ? Pourquoi les vieux crocodiles européens n’expliquent-ils pas à Erdogan que nous ne travaillons pas avec des pays qui sèment la terreur et la mort dans leurs pays voisins ? Pourquoi est-ce qu’un Jean-Claude Juncker se limite à « exprimer son inquiétude face à la situation à Afrin » ? Son inquiétude ?! Face à une guerre offensive qui vise à exterminer un peuple ? L’Europe est inquiète et signe un chèque de 3 milliards d’euros ? Eh bien, le sultan du Bosphore n’est peut-être pas si fou que ça. Erdogan ne fait que profiter de l’inexistence d’une vraie politique européenne. Les fous dans cette histoire, ce sont les responsables européens. Et nous qui leur ont confié les clés de la Maison Europe.

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