Une Armée européenne intégrée ?

L’unité souhaitée et la division effective

Un mousquetaire : la défense européenne a-t-elle vraiment progressé, depuis le XVIIe siècle ? Foto: Paul-François Choppin / Wikimédia Commons / CC-BY-SA PD

(MC) – Avant-hier mardi, le président Macron a réaffirmé la nécessité de construire une armée européenne, une armée qui assurerait la défense de l’Union Européenne sans devoir compter jusqu’ à la fin des temps sur l’ OTAN, sur les Etats-Unis ou sur un accord bilatéral intersidéral avec les Martiens. Mais peut-on croire à la possibilité d’une telle armée ?

Certes, l’avantage qu’il y aurait à disposer d’une armée européenne intégrée se montre avec toujours davantage d’évidence : l’agression russe en Crimée et à l’Est de l’Ukraine, le fondamentalisme islamiste, le Brexit qui affaiblira considérablement la défense européenne, l’attitude dangereusement agressive de Donald Trump n’ont guère de mal à nous en convaincre. Mais cela ne rend pas plus facile la résolution concrète d’un problème qui se pose depuis la préhistoire de l’ Union Européenne…

En 1952 déjà, en effet, on a commencé à construire une Communauté Européenne de Défense qui comprenait l’Allemagne, le BENELUX, la France et l’Italie. Malheureusement, le nationalisme des gaullistes et la vassalisation des communistes ont fait honteusement capoter l’idée.

Mais y penser toujours, en parler toujours : la création d’une défense intégrée est prévue explicitement dans l’article 42 du traité sur l’Union, révisé en 2009.

En 2015, Jean-Claude Juncker remet sur le tapis l’idée d’une « armée commune » et se heurte au scepticisme de nombreux commentateurs, à commencer par certains de ceux-là même qui représentaient leur pays dans les institutions européennes. On n’a cependant pas remarqué assez que Juncker parlait d’une armée commune, et non d’une armée unique où se fondraient les armées nationales actuelles : il s’agissait bien, dans son esprit, de préserver les susceptibilités nationales tout en appelant à la constitution d’une Armée européenne qui elle, chapeauterait les 28 armées particulières. Mais la constitution d’une armée européenne, d’une défense européenne intégrée, reste au moins aussi difficile qu’il y a 60 ans, bien que pour des raisons en partie différentes.

Autre inconvénient, aux yeux de l’opinion publique : les Etats sont censés ne pas consacrer moins de 2 % de leur budget à la défense… Une mesure en général (!) impopulaire.

Il ne faut cependant pas négliger les progrès réalisés en matière de coopération entre les Etats membres de l’UE. Mais entre coopération et intégration, il y a un pas psychologiquement énorme, qui sans doute, n’est pas prêt d’être franchi.

Il faut bien prendre en considération les obstacles majeurs à cela. D’abord, les susceptibilités en matière de souveraineté, bien évidemment. Il ne sera pas facile, et il ne l’a jamais été, pas plus en 1952 qu’aujourd’hui, de dépasser la préoccupation sourcilleuse des gouvernements et des classes dirigeantes de chacun des Etats membres…

Et puis, bien peu d’ Etats membres mènent actuellement une politique de défense consistante : la France et la Grande-Bretagne, et à part elles, qui d’autre ? Pas (pas encore?) l’Allemagne, en tout cas, pour les raisons historiques que l’on sait. Le jour où la République fédérale entrera de plain pied dans la voie d’ une contribution efficace et conséquente à la défense européenne, un grand pas dans la direction de la normalisation sera franchi – ou plus exactement, dans la reconnaissance générale de cette normalisation. Mais il ne faut pas attendre pour cela, bien sûr, que l’AfD monte dans les votes et s’incruste dans le tableau idéologique du pays…

En tout cas, les différences nationales à l’égard de la défense posent un problème d’ajustement : comment mettre sur un pied d’égalité la France (qui plus est, puissance nucléaire) et tel pays du BENELUX plus intéressé en réalité par son secret bancaire que par les progrès effectifs de l’unification européenne ?

De plus,on ne peut nullement espérer compter sur la Grande-Bretagne, Brexit ou non, pour réaliser cette grande idée ; elle est manifestement trop contraire à l’esprit britannique et à la nature difficultueuse de ses relations avec l’UE.

Enfin, il y a l’obstacle de la tiédeur, que certains militaires de haut rang appellent de l’infantilisme, des pays de l’Union à l’égard de cette idée : l’OTAN est là, qui nous protège de ses grandes ailes de plomb… Et Trump a réaffirmé sa présence tout récemment, après l’un de ces revirements dont il a le secret, et approuvé l’augmentation récente des dépenses militaires  dans les pays de l’UE. Cette attitude fait rétroaction négative : les pays baltes, eux surtout, font davantage confiance à l’OTAN qu’à l’UE… parce que cette dernière est moins digne de confiance ! Certains faits, et même beaucoup, leur donnent hélas raison. Par exemple, le fait que la Belgique, récemment, ait préféré le F-35 américain au Typhoon d’Eurofighter (ou au Rafale, mais on ne peut trop en demander…)

Et pourtant… Pourtant, l’avancée de la coopération entre les Etats membres est loin d’être nulle. Elle se manifeste dans 3 faits principaux : l’organisation conjointe d’opérations militaires, certes beaucoup trop réduite encore (les Etats de l’UE y ont investi… 3600 fois moins que dans leur défense nationale), l’acquisition ou l’exploitation commune de matériel militaire, comme celles que prévoit le document signé voici exactement un an par 23 pays européens à Bruxelles.

Voilà un projet ambitieux, qui répond aux agressions poutiniennes et peut-être,aux impolitesses américaines et aux attentats islamistes : il s’agit de développer en commun avions, chars et drones, un hôpital de campagne, et plus tard, l’organisation d’un QG opérationnel et/ou d’ une plateforme logistique pour l’UE. Et aussi, celle d’une Initiative Européenne d’Intervention où collaboreraient 9 Etats. Au total, ce document égrène 50 projets devant permettre l’intégration et l’harmonisation de la défense face à une concurrence américaine redoutablement efficace et encombrante.

Le président Macron, en vertu de ce que nous venons d’évoquer, peut-il réellement croire à la création d’une Armée Européenne effective ?

Une telle idée est de celle dont on sait qu’elle est bonne et nécessaire, sur laquelle on ne se fait guère d’illusion, mais qu’il faut réaffirmer sans cesse, un peu sur le modèle de ce que Kant appelle « Idée régulatrice ». Comment, sinon, aurait-elle la moindre chance de réalisation ?

Nous devons aussi espérer très fort en l’après Merkel : la passivité étrange de la Chancelière n’est pas pour peu dans la stagnation de l’idée d’Europe, depuis au moins un an maintenant. Il faudra don que les Allemands votent bien, dans les deux ou trois années à venir…

 

 

 

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