Une bonne et dangereuse idée…

Pour combattre les discours de haine en ligne, Facebook a l’intention de fournir les adresses IP des contrevenants à la justice française. Une bonne idée qui comporte un risque majeur.

Les "médias sociaux" - cadeau ou malédiction ? Foto: Today Testing / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(KL) – Lorsque l’on évalue aujourd’hui de nouvelles lois, il convient de ne pas seulement les regarder sous l’aspect « aujourd’hui », mais il faut se poser la question : qu’est-ce qu’un autre gouvernement pourrait en faire ? Par exemple, un gouvernement extrémiste. Ceci est valable par exemple pour la nouvelle « loi anti-casseurs » qui elle, entre les mains d’un gouvernement extrémiste, pourrait se transformer en un instrument totalitaire supprimant toute critique publique. La décision du géant américain Facebook de fournir désormais les adresses IP de personnes diffusant des messages de haine sur Facebook à la justice française, tombe également sous cette considération.

Combattre et poursuivre les discours de haine sur les réseaux sociaux, c’est nécessaire et en principe, une bonne chose. Mais la question cruciale est : « Qui détermine ce qu’est un discours de haine » ? Bien entendu, on nous répondra que c’est à la justice qu’ incombe cette définition. Bien sûr, on nous répondra que cette justice est totalement indépendante du pouvoir public. Il faudra y croire très, très fort pour s’en convaincre.

Le gouvernement français a indiqué que la fourniture d’adresses IP serait spécifique à la France. Après des négociations entre le gouvernement et le géant des réseaux sociaux, Facebook a accepté de transmettre les adresses IP pour les contenus de haine en ligne qui seraient demandées par la justice. » Mais qui nous dit qu’un prochain gouvernement ne qualifie pas des prises de position contre l’extrême-droite comme un « discours de haine » ? Voulons-nous réellement que Facebook transmette toutes les adresses IP de personnes critiquant l’extrême-droite à un gouvernement comme, par exemple, du Rassemblement National ? Pour que celui-ci puisse constituer un fichier d’adversaires politiques ?

Pour que cette mesure ne se transforme pas en un instrument de répression de la liberté d’expression et de la liberté de penser, il faudra définir un cadre précis et ne pas laisser cette transmission de données au « cas par cas ». En principe, il suffit de définir des cas déjà prévus par la loi. Discours invitant à la violence, au racisme, au sexisme, etc. – toutes ces choses sont interdites et pourraient constituer le cadre de cette démarche.

A un moment où l’extrême-droite rêve déjà de la prise du pouvoir après les élections en 2022, il faudra faire attention de ne pas lui préparer tout un arsenal d’instruments qui lui permettrait d’opprimer ses adversaires. On se souvient du « putsch » en Turquie en 2016 – à l’époque, les services secrets turcs disposaient, comme par miracle, de listes de personnes considérées comme de adversaires potentiels d’Erdogan ; et ces listes, qui comportaient de dizaines de milliers de noms, servaient comme ordre de mission pour les arrestations qui suivaient déjà quelques heures après le « putsch ». On se demande encore où le gouvernement turc avait trouvé ces noms, comment elle a pu établir ces listes. Et il convient donc d’empêcher l’établissement de telles listes en France.

Si l’idée de poursuivre avec rigueur les discours de haine sur les réseaux sociaux est nécessaire et bonne, il faut donc faire attention d’en définir un cadre qui doit à la fois permettre de poursuivre des contrevenants, tout en protégeant les droits civiques de tout le monde. Chaque liberté que nous abolissons aujourd’hui dans l’espoir d’augmenter la sécurité sera perdue.

Il ne faut pas oublier une chose – personne ne sait qui gouvernera la France en 2020. Tâchons de ne pas faciliter la mise en œuvre d’un « totalitarisme 2.0 »…

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