Une « convergence » de plus : Français et Allemands épargnent moins !

Il n’y a pas que le « ‘Brexit » dans la vie – Alain Howiller se penche sur la question de l’épargne en France et en Allemagne. Une épargne qui diminue.

Quand il s'agit d'épargne, la situation se ressemble entre la France et l'Allemagne. Foto: Roux Clément / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Par Alain Howiller) – « Travaillez, prenez de la peine, c’est le fonds qui manque le moins » : à cette injonction du « riche Laboureur » de Jean de La Fontaine, véritable plaidoyer en faveur de la « valeur-travail » mais aussi des fonds accumulés car épargnés, répond l’incantation : « Schaffe, schaffe, Häusle baue » devenue le symbole de l’appétence allemande pour un sens de l’épargne, parfois à la limite de la pingrerie. Les économistes savent bien que les Français ont eu pendant longtemps la réputation d’être assis sur une épargne soigneusement cultivée au point qu’ils étaient « champions d’Europe » pour le nombre d’épargnants : 87% d’entre eux disaient qu’ils mettaient de l’argent de côté ! En Allemagne, 65% des citoyens affirmaient, l’année dernière, qu’ils mettaient, eux aussi, de l’argent de côté !

Et puis surviennent le tassement des taux d’intérêt désormais moins rémunérateurs, la chute des taux pratiqués pour les prêts à la consommation, une inflation faible qui pèse sur les prix, l’évolution sociale qui pousse les épargnants à essayer de mettre de côté de l’argent spécifiquement dédié à compléter une retraite qu’ils redoutent ne pas être, en l’état, à la hauteur de leurs besoins. Tout cela contribue à peser sur l’épargne traditionnelle – le fameux « livret d’épargne » en particulier – au profit de la consommation, des « comptes-courants » qui permettent de mobiliser rapidement ses liquidités, de l’investissement dans l’immobilier, d’engagements axés sur « l’assurance-vie » ou destinés (fonds de pension en progrès) à leur garantir un complément de retraite, le moment venu. Non seulement les Français comme les Allemands épargnent moins et consomment davantage, en plus leur épargne s’est profondément modifiée.

De part et d’autre du Rhin, une même approche ? – Curieusement, les évolutions notées dans le domaine de l’épargne traduisent une approche relativement comparable de part et d’autre du Rhin : voilà une « convergence » qui, jusqu’ici n’avait guère été relevée et qu’encourage chez les épargnants la conviction que la situation qu’ils vivent actuellement, n’évoluera guère. En France, une récente enquête du « Cercle de l’Epargne » souligne, par exemple, que seuls 11% des Français pensent que les taux rémunérant l’épargne se redresseront, 44% estiment qu’ils baisseront encore et 45% s’attendent à une stagnation des rendements de l’épargne en 2016 !

Selon la « Caisse des Dépôts et Consignations », depuis le début de l’année, les Français n’ont cessé de retirer de l’argent de leur « livret A » d’épargne : la « décollecte » (retraits) avait atteint 1,01 milliards d’euros au premier trimestre 2016 ! Il est vrai que, selon les mêmes sources -signe des mutations de l’épargne relevées plus haut- l’assurance-vie a, elle, enregistré une collecte de… 7,8 milliards d’euros ! Alors que les comptes-courants révélaient des disponibilités de l’ordre de… 34 milliards d’euros !

Moins d’épargnants et d’épargne en Allemagne ! – En Allemagne, le nombre d’épargnants utilisant les livrets d’épargne classiques (« Sparbücher ») a régressé de 53% l’année dernière à 48% cette année ! En 2015, 65% des Allemands disaient qu’ils épargnaient tous les mois : le chiffre est tombé, cette année, à 51% !… Le nombre de ceux qui épargnent irrégulièrement est monté de 25 à 35% et 14% des Allemands n’épargnent pas du tout !… Non seulement le nombre d’épargnants a baissé, mais le montant des dépôts a, lui aussi, diminué : Le nombre des épargnants qui mettaient entre 100 et 200 euros de côté par mois a régressé de 25 à 12% et le nombre de ceux qui épargnaient mensuellement moins de 100 euros a passé de 32 à 41%… 38% des Allemands avouent franchement que, compte tenu de ce que l’épargne rapporte, ils préfèrent dépenser l’argent que d’épargner !

La régression est imputée essentiellement au niveau de rémunération que 3/4 des Allemands imputent à la politique monétaire anti-inflationniste engagée par la « Banque Centrale Européenne-BCE » de Francfort. Difficile, sans doute, d’écarter ce reproche que du reste la Banque assume : mais faut-il pour autant oublier que cette politique, qui va jusqu’aux taux d’intérêts nuls -voire négatifs- affichés par les banques a contribué en pesant sur les prix à consolider -voire à relancer Outre Rhin- la consommation, donc la croissance. La situation a lancé un débat en Allemagne qui a trouvé un épilogue inattendu grâce à la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe.

Quand la « Cour de Karlsruhe » vote « Europe » ! – Le débat a été amorcé par… Wolfgang Schäuble, le Ministre des Finances en personne, lançant, d’après Le Monde : « J’ai dit à Mario Draghi (le « patron » de la BCE) : tu peux être fier. Tu peux attribuer à ta politique la moitié des résultats d’un nouveau parti qui semble avoir du succès en Allemagne ! » (allusion au parti « Alternative für Deutschland-AfD », classé à l’extrême droite : voir eurojournalist.eu du 14 Mars).

Un peu sibyllin, le propos s’éclaire si on le rapproche de cette déclaration de Markus Söder, le Ministre des Finances de Bavière, qui ne donne que rarement dans la nuance : « La politique des taux d’intérêt nuls est une attaque contre la fortune de millions d’Allemands qui ont placé leur argent sur des comptes d’épargne ou en assurance-vie. Le gouvernement doit exiger un changement de direction de la politique monétaire (de la BCE). Si cela continue comme ça, c’est un boulevard pour l’AfD ! » Serait-ce « encore la faute à l’Europe », slogan commode (et injuste pour la plupart du temps) que les Etats utilisent pour essayer de camoufler leur propre incapacité à agir ?

Pas de sortie de l’U.E. pour…. les Allemands ! – C’est la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe, saisie par une association, deux anciens ministres (un CSU et un SPD) et « Die Linke » qui, d’une certaine façon, répondra. Dans un arrêt passé quasiment inaperçu, la Cour a légitimé l’action de la BCE sous réserve bien sûr que celle-ci ne soit pas mise en cause de manière justifiée par le gouvernement ou le Bundestag.

La Cour s’appuiera même sur une décision précédente de la « Cour de Justice Européenne » de Luxembourg : elle apporte ainsi une légitimité supplémentaire à une institution-clé du Droit Européen : par les temps qui courent, voilà un appui qui n’allait peut-être pas de soi, mais qui tombe à pic, au moment où selon un sondage de l’Institut « Forsa » pour le magazine « Stern », 79% des Allemands voteraient, en cas de referendum, contre une sortie de l’Union Européenne : seuls 14 % voteraient pour une sortie de l’UE !

1 Kommentar zu Une « convergence » de plus : Français et Allemands épargnent moins !

  1. On est vraiment sur le même bateau et les trésors de la cale s’amenuiseront-ils pour servir la consommation ou des spéculations plus hasardeuses? Sparen hâtte kein Wert mehr .
    Acheter des terres pour que le fonds travail de la fable évoquée, puisse être mis en oeuvre et surtout avant que les Chinois ne raflent la mise, réduisant nos “paysans”au servage!. Problème réel dans l’ouest canadien et un peu partout ailleurs. Vorsicht!
    On apprécie toujours les papiers du grand pro Alain pour ses analyses toujours appuyées sur des données minutieusement collectées.

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