Une femme à l’honneur chez les «amis de Marcel Rudloff»

Le « Prix de la Tolérance » a été décerné à Madame Latifa Ibn Ziaten.

Latifa Ibn Ziaten a vécu des choses terribles, sans pour autant virer dans la haine. Remarquable. Foto: Antoine Spohr / Eurojournalist(e)

(Par Gervaise Thirion) – Vendredi 11 mars. Une vénérable assemblée était accueillie par Roland Ries dans les salons de la «maison commune citoyenne» de Strasbourg, pour la cérémonie de remise du 19ème «Prix de la Tolérance Marcel Rudloff».

La date a de l’importance. Quatre ans, jour pour jour, après l’assassinat de son fils, Madame Latifa Ibn Ziaten, Fondatrice et Présidente de la l’association IMAD pour la jeunesse et pour la paix, recevait son prix des mains de Francis Hirn, président de l’association «les Amis de Marcel Rudloff».

Le moment était chaleureux et émouvant. Pour elle, l’émotion était double.

La tolérance ? Valeur fondatrice de la civilisation si menacée aujourd’hui ? – L’objet de ce prix est de «récompenser une personne physique ou morale qui aura manifesté par son action, son comportement, ses déclarations et prises de position, ou tous autres agissements, des qualités exceptionnelles d’ouverture d’esprit, de sens des responsabilités, de refus de tout sectarisme, de respect des autres, de dialogue, de bienveillance et de tolérance.» Oh oui !

C’est dire que Madame Ibn Ziaten le mérite amplement.

«Une femme rare, d’une grande richesse intérieure»…. Ce sont les mots qui viennent à l’esprit, ceux qu’employa Francis Hirn en hommage à Marcel Rudloff lors du décès de ce dernier.

Rappelons-nous : Le 11 mars 2012, le maréchal des logis-chef parachutiste, Imad Ibn Ziaten, première victime de Mohamed Merah, le «tueur au scooter», mourrait, debout, par les balles de ce fou qui assassina ensuite 6 autres personnes (deux militaires et quatre personnes de confession juive dont trois enfants).

Plutôt que de s’enfermer dans le repli sur soi, les lamentations, les plaintes, la colère, la vindicte, Latifa Ibn Ziaten a su dépasser ces réflexes instinctifs, sublimer sa souffrance en compassion et puiser sa force dans l’amour du prochain.

Elle partit enterrer son fils dans la terre de ses ancêtres, au Maroc, puis, revenue en France, elle ne put s’empêcher de se rendre aux Izards, la cité de Mohamed Merah. De sa rencontre avec une bande de jeunes qui glorifiaient la conduite de Merah, le considérant comme un héros, un martyr de l’Islam, est née l’idée de créer son association. C’est le début de son action.

Depuis, elle mène un combat sans relâche qui la conduit d’écoles en prisons, dans les quartiers déshérités, partout en France mais aussi à l’étranger (Maroc, Mali, Israël, Palestine…).

«Je trouve que nos plus grands vices prennent leur pli de notre plus tendre enfance et que notre principal gouvernement est entre les mains de nos nourrices». (Montaigne)

Latifa n’a sans doute pas lu Montaigne mais elle a tout compris, tout pressenti… parce qu’elle est maman de cinq enfants, parce qu’elle avait «réussi» son intégration et la leur, elle sait ce qui «cloche» dans l’histoire, ce qui manque à ces enfants qui se réfugient dans le radicalisme, la haine de la France, la violence gratuite et elle veut les aider. Elle veut leur donner la chance qu’elle a été capable de procurer à ses propres enfants.

Son discours parle «d’amour, d’éducation, de laïcité, de République, de la place de la république avant la religion qui doit rester une affaire privée, du rôle des parents et d’une famille soudée dans le destin des jeunes».

Sa lutte infatigable contre la radicalisation et pour le dialogue interreligieux, relayée par de nombreux médias, lui a valu déjà quelques distinctions dont le «Prix de la Fondation Chirac» pour la prévention des conflits et le «Prix Copernic».

Elle est soutenue par le ministère de l’Education Nationale. La mairie du 4ème arrondissement de Paris a mis des locaux à sa disposition. Puis tout dernièrement vient d’être ouverte une maison à Garges les Gonesses, un centre d’accueil où elle pourra rencontrer jeunes et parents. Car c’est là que tout se passe en premier lieu.

Vendredi après-midi, elle repartait vers Paris, à l’Elysée, où le Président François Hollande devait lui remettre la Légion d’Honneur. Bien justifiée celle-ci !

Pas facile ce parcours. – Glorieux certes pour ce personnage prisé, médiatisé, ovationné et pourtant stupidement humilié.

Car on n’en oubliera pas les menaces dont elle fait l’objet, les huées dont elle a été victime un jour à l’assemblée nationale lors d’un colloque sur la laïcité, où ses agresseurs lui reprochaient de porter le foulard et auxquels elle répondit «Française, musulmane, marocaine, je vis avec les trois et j’en suis fière, c’est vous qui avez un problème». Quelle leçon ! Chapeau !

C’est une femme belle, douce, sans révolte, d’une grande dignité que nous avons rencontrée ce vendredi. La classe ! Elle ne pardonnera pas à Mohamed Merah pour ce qu’il a fait, car «sa souffrance est incommensurable et ne s’éteindra pas», mais elle lui pardonne pour ce qu’il était…

Si la tolérance est l’attitude qui consiste à «admettre chez autrui une manière de penser ou d’agir différente de celle qu’on adopte soi-même», Madame ibn Ziaten va bien au-delà, car sa tolérance inclut l’indulgence jusqu’au pardon.

2016, une année particulière pour l’association des Amis de Marcel Rudloff. – Le 23 mars 1996 disparaissait Marcel Rudloff grande figure politique qui laissa une empreinte indélébile dans la mémoire de ceux qui l’ont côtoyé. «Homme rare, d’une grande richesse intérieure» (Francis Hirn), il incarnait la tolérance et le respect des autres, tous les autres, y compris ses adversaires.

L’association des Amis de Marcel Rudloff, née en 1997, un an après sa mort, contribue à maintenir la mémoire de Marcel Rudloff et promouvoir l’esprit de tolérance. Ce dernier requiert l’adhésion de toute notre belle jeunesse.

5 Kommentare zu Une femme à l’honneur chez les «amis de Marcel Rudloff»

  1. Merci de montrer la voie du respect, de la vie, par votre voix nette et claire !

  2. Cette noble association, unique voit ses adhérents vieillir mais la belle cause demeure et appelle des jeunes qui savent ce qu’est la tolérance.

    • Kai Littmann // 14. März 2016 um 14:19 // Antworten

      A force de minimiser les dangers de l’extrême-droite, on arrive à des situations comme lors des régionales en France. En France, les électeurs ont la possibilité de “rectifier le tir” lors d’un deuxième tour. Les allemands n’ont pas cette possibilité et on en reparlera après les législatives en 2017. L’Allemagne devrait pourtant connaître cela – la pire des époques de l’histoire allemande a été rendue possible par des élections démocratiques…

  3. “Quand on n’ a que l’Amour” cette chanson de Brel interprétée a capella par trois jeunes femmes a levé le rideau. Et tout le monde était bien, avec ou sans foulard . A Kaï: ce n’est plus vivre sereinement sur le plan politique que d’être toujours préoccupé par l’illusoire préoccupation du Passé. Il n’y a pas de déterminisme historique, précisément parce qu’il y a l’Histoire . Si l’Allemagne avait connu une affaire Dreyfus, elle aurait été différente.
    Quand même quand on a , à sa t^te ,une vaillante Merkel, on doit être fier .

  4. Evidemment, ce commentaire n’était pas destiné à l’excellent papier de Gervaise Thirion, mais au commentaire sous l’article “Séisme politique en Allemagne”. Mais je me permets quand même une question – à quoi sert l’Histoire s’il ne faut pas en retenir les leçons ? Minimiser ce qui se passe aujourd’hui en refusant de voir les parallèles historiques, n’est-ce pas fermer les yeux devant ce qui se passe ? En 2017, les Allemands n’auront pas de deuxième tour pour se rattraper et force est de constater que l’Allemagne est aujourd’hui divisée, les partis traditionnels implosent, la prochaine crise économique nous guette, nous sommes entourés par des conflits armés, le terrorisme crée un climat de peur, la violence dans la rue en Allemagne conduit à des actes qui ressemblent aux pogromes dans les années 30 – et j’exagère en disant que cela ressemble à l’aube de la “République de Weimar” ? Il faut quoi alors avant qu’on admet que cette évolution, en Allemagne, en France, en Europe, n’est pas seulement embêtante, mais carrément dangereuse ?

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