Une heureuse synthèse de notre Lelouch

Notre expert cinéma Nicolas Colle a rencontré le grand Claude Lelouch et la crème de la crème du cinéma français pour une interview surprenante.

Un + Une est un chef d'oeuvre signé Lelouch avec une distribution qui fait rêver tout amoureux du cinéma... Foto: Metropolitan Export

(Nicolas Colle) – Actuellement à l’affiche, le nouveau film de Claude Lelouch nous enchante avec une histoire d’amour insolite et sensible «à la Lelouch», au cœur d’une Inde magnifique, servie par une mise en scène et un propos qui ne sombrent jamais dans les clichés. Eurojournalist(e) a eu la chance de partager un moment, la compagnie de cette formidable équipe composée du grand Claude, bien sûr, ainsi que du très vivant Jean Dujardin, de la radieuse Elsa Zylberstein, de l’éloquent Christophe Lambert et de la fraiche Alice Pol.

Alors Claude, comment vous est venue l’envie de filmer cette grande histoire d’amour à l’image de vos plus grands films tels que «Un homme et une femme» ou «Un homme qui me plait» ?

Claude Lelouch : Au départ, c’est Jean et Elsa qui voulaient rencontrer mon cinéma, avec toute la liberté que ça suppose. Par chance, je souhaitais également travailler avec eux, d’autant plus que je ne les avais jamais dirigé. Et le simple fait qu’ils aient eu envie de tourner un film avec moi, j’ai pris cela comme une déclaration d’amour et je ne résiste jamais aux déclarations d’amour. Ils m’ont tellement inspiré qu’avec ma femme, Valérie Perrin, on a écrit le scénario en deux mois. Et puis c’était évident que Jean et moi devions nous rencontrer car trop de choses nous réunissent au niveau de l’humour notamment.

En voyant ce film, on sent que vous êtes un amoureux de la vie ?

CL : Bien sûr. En fait je fais toujours le même film… Ça fait cinquante ans que je suis fasciné par le genre humain. C’est un spectacle dont je ne me lasse pas. J’aime les personnages de synthèse, des héros du quotidien qu’on peut croiser dans la vie de tous les jours. Pour moi, le plus grand des metteurs en scène, c’est la vie elle-même. Elle fait se croiser près de sept milliards d’acteurs. Or sur ce film, j’ai eu la chance de travailler avec quatre amoureux de la vie. Jean c’est un cinéma permanent mais très naturel, il a besoin de déconner en permanence, comme Belmondo. Il est dans la vie tout le temps et j’aime la vie dans tout ce qu’elle est, avec tous ses défauts, toutes ces injustices et toutes ses contradictions. Mon cinéma, c’est le cinéma de la vie…

Vous avez mis en scène de nombreuses histoires d’amour… Qu’avez vous souhaité raconter autour du sentiment amoureux à travers ce nouveau film ?

CL : Cette fois ci, j’ai voulu raconter une histoire d’amour entre deux personnages qui vont tomber amoureux l’un de l’autre alors qu’au moment de se rencontrer, ils sont déjà amoureux de quelqu’un d’autre, mais ce n’est pas une protection. L’amour, c’est une drogue formidable et on en veut toujours plus. Elle, de son côté, elle est avec son ambassadeur qui représente tout ce dont une femme peut rêver. Il est intelligent, bienveillant, idéaliste et lui apporte une sécurité et un certain confort. Mais l’inconvénient du confort c’est que ça crée des habitudes et dès que l’aventure frappe à la porte, on lui ouvre et on lui tend les bras. D’ailleurs, lui est pareil. Il est avec une jeune fille avec la même conception de la vie que lui, avec la même liberté, sans contrainte, mais la rencontre avec cette femme vient bousculer toutes ses certitudes. En fait, avec ce film, je voulais montrer comment ça peut être beau de voir un clown devenir un homme et comment une femme et un pays peuvent vous changer.

Et vous Jean, en voyant ce film, j’ai ressenti chez vous un tel plaisir et une telle liberté dans votre jeu que j’ai pensé que vous aviez dû vous laisser aller au maximum dans l’improvisation en vous détachant un peu du texte… Je me trompe ?

Jean Dujardin : Tu ne te trompes pas du tout mais, il faut savoir qu’à l’origine, le scénario était vraiment très écrit. Donc on ne décide pas d’improviser comme ça nous chante au cours d’une scène, sinon ça serait trop foireux. Si on le fait, il faut que ce soit au service d’un enjeu et d’une scène bien écrite. Mais c’est vrai qu’une scène du scénario devant durer environ sept minutes pouvait en durer quinze au moment du tournage. Et ça, c’est grâce à Claude qui libère complètement ses acteurs sur le plateau et les amène à se sentir en confiance et à proposer des choses très naturellement. C’est propre au cinéma de Claude. Pour lui, il faut qu’on soit plus fort que la vie et c’est ce qui fait d’ailleurs qu’on avait tous envie de travailler avec lui. Il est très spectateur de son film même après cinquante ans de cinéma. Donc tant qu’on reste cohérent et au service de l’histoire, on peut se laisser aller et donner davantage que ce qui est écrit sur le papier.

Elsa, selon vous, qu’est ce que ces deux personnages s’apportent mutuellement, car ils sont radicalement différents ?

Elsa Zylberstein : C’est un point de départ qu’on retrouve dans beaucoup de comédies américaines ou françaises avec des personnages très différents qui partent faire un road trip ensemble et qui vont se découvrir. Ici, il s’agit de deux personnages très romanesques. Elle, de son côté, a un esprit de petite fille. Elle est très spirituelle, presque un peu allumée, elle vit dans le confort avec son ambassadeur et apparemment, elle semble heureuse, mais on ne sait jamais ce que c’est que le bonheur, il faut toujours gratter la surface et voir ce qu’il y a derrière les êtres. Et voilà qu’elle rencontre cet homme qui est apparemment trop pragmatique pour elle, trop masculin, presque «too much» et à la limite insolent, mais sa masculinité animale la séduit et son arrogance lui plait. Il a un coté plus grand que la vie mais cette rencontre avec cette femme avec toute sa spiritualité et son envie d’un ailleurs, lui font comprendre qu’on peut être autrement que comme il est. Donc je pense qu’elle lui apporte une poésie et une autre vision de la vie qui lui font défaut au début. Et mon personnage devient pleinement la femme qu’elle voulait devenir en étant au contact de cet homme, alors qu’avant ce voyage c’était d’avantage une enfant qui cherchait à devenir adulte. Donc ce voyage leur permet de grandir et de se rencontrer.

Christophe et Alice, vos deux personnages sont, en quelque sorte, les victimes collatérales de cette histoire d’amour, mais ce qui me plait, c’est qu’ils semblent tous deux plus forts que leurs blessures. Que pouvez-vous nous dire sur eux ?

Christophe Lambert : Je pense que cet ambassadeur c’est avant tout une apparence. Il est obligé d’avoir un coté sérieux du fait de son métier mais je pense que c’est un homme beaucoup plus barré qu’on ne le pense et qui est très fataliste. Ce qui fait qu’il a besoin de s’évader dans un imaginaire avec un coté enfantin, et donc joueur. La relation qu’il a avec sa femme, c’est un faux départ, ils tombent amoureux, mais pas pour les bonnes raisons. Dans d’autres circonstances, la connexion entre eux n’aurait pas été la même. Quand on rentre dans une relation et qu’on s’aperçoit qu’on n’est pas forcément fait l’un pour l’autre, soit on est dans la culpabilité soit on accepte les conséquences d’une réalité, qui est qu’on s’est mal rencontré et qu’on n’est pas fait pour être ensemble. Même si ca n’empêche pas l’amour, la souffrance et tout ce qui va autour d’une séparation mais on se répare. Donc à la fin, il se dit qu’il a enlevé un bout de sa vie, mais peut être pas… Après tout, la conséquence de cet événement va peut être lui amener une belle rencontre qui sera la bonne celle-là. Mais il n’en sait rien, donc il y a une solitude douloureuse là dedans mais on s’y adapte, on vit avec, on avance, on prend la vie à bout de bras, on l’embrasse, on l’aime et on y va…

Alice Pol : Pour ma part, je pense que mon personnage est à l’image de celui incarné par Jean. C’est une fille très libre, qui vit de sa passion pour le piano puis qui accepte de prendre un risque en demandant à Jean de s’engager. Elle a besoin de le tester et de savoir si elle peut ou non aller plus loin avec lui afin de se sentir plus libérée. Comme ils sont tous les deux artistes et qu’ils vouent une passion à leur art, elle sait que le poids de leur relation sera difficile. Donc au final, elle prend un coup mais qui s’avère être un révélateur et lui permet de devenir plus forte. Mais Claude sait faire ça, il aime ses personnages avec leurs défauts et leur fragilité qui deviennent des forces. Ce sont des héros de la vraie vie qui prennent des coups et se relèvent.

Pour en revenir à vous Claude, ce film marque votre rencontre avec ces quatre superbes comédiens, mais aussi avec l’Inde que vous nous montrez ici sans aucun cliché. Que pouvez-vous nous dire sur ce que vous avez ressenti en découvrant ce pays ?

CL : Je suis tombé amoureux de l’Inde car c’est un pays où le rationnel et l’irrationnel se mélangent. C’est une synthèse de toutes les contradictions et de tous les paradoxes qu’il y a dans le monde. Même si j’avoue avoir hésité pendant un temps de filmer ce que j’y ai vu car là bas, le fossé entre les riches et les pauvres, ce n’est plus un fossé mais un océan. Mais quand on comprend le pays, on comprend qu’il y a une acceptation du malheur qu’il n’y a pas ailleurs. Là bas, on apprend dans la souffrance, et c’est quelque chose qui résonne particulièrement avec mon parcours car j’ai toujours mieux réussi un film après un échec qu’après un succès. C’est ça la philosophie de l’Inde, chaque vie prépare celle d’après, chaque vie est le brouillon de la prochaine. Pour eux, on est là pour l’éternité et ça change la façon de voir le monde et les autres. L’être humain est plus grand là bas qu’ici car les gens y sont moins gâtés que nous. C’est ce qui m’excitait d’ailleurs, de filmer des enfants gâtés dans un pays où les gens ne sont pas gâtés. Du coup, je ne souhaitais pas trop filmer la misère, mais me concentrer davantage sur leur philosophie de vie et leur sourire.

Et pour conclure, en voyant le film, on sent que vous avez tous beaucoup cavalé à travers l’Inde et que le tournage a dû nécessiter beaucoup endurance mais néanmoins dans le plaisir et la joie ?

Jean Dujardin : C’est le plus beau des compliments que tu puisses nous faire à tous parce qu’on a vraiment abordé ce film comme une grande récréation. Et puis, il fallait qu’on apporte de l’humour et de la fraicheur à l’ensemble pour pouvoir dire des choses sérieuses sur la complexité des rapports entre les hommes et les femmes sans être trop au premier degré.

En somme, une synthèse de l’œuvre de Claude Lelouch dans ce qu’elle a de meilleur, avec sa générosité, son émotion, son humour, sa légèreté et sa vérité. A voir absolument.

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affiche Metropolitan Export

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